
entre les mains du prieur une pièce de poésie inspirée par la circonstance; ce gracieux
tribut a lait la fortune du monastère.
Les Chinois ne demeurèrent pas insensibles aux progrès que faisaient leurs élèves
dans le goût des lettres et l’élégance, des moeurs. En témoignage de sa haute satisfaction,
le Eils du Ciel envoya une ambassade au Mikado sans autre mission que celle de lui faire
hommage d’une poésie (an 815 après J.-C'.).
La culture de l’art poétique fut poussée jusqu a l’héroïsme par une noble demoiselle
de la cour de Kioto. La belle Onono-Komatch est généralement représentée à genoux
devant un bassin à laver les mains, au-dessus duquel elle efface, à grande eau, ce qu elle
vient d’écrire. Tel était son amour de la perfection du style, qu’elle ne connut pas
d’autre passion.
Admirée pour son talent, mais en butte à la jalousie et livrée sans défense au ressentiment
des fats dont elle avait repoussé les avances, elle tomba en disgrâce et descendit
jusqu’aux derniers échelons de la misère.
Pendant de longues années l ’on vit errer de village en village, dans les campagnes du
Nippon, une femme toujours solitaire, marchant pieds nus, appuyée sur un bâton de
pèlerin, et portant à la main gauche un panier où des rouleaux manuscrits recouvraient
quelques frugales provisions de bouche. Des touffes de cheveux blancs s’échappaient du
large chapeau de paille qui abritait sa figure maigre et ridée. Lorsque cette pauvre vieille
s’asseyait au seuil des temples dans le voisinage des bourgades, les enfanta accouraient
autour d’elle, étonnés de son doux sourire et de la flamme de ses regards. Elle leur enseignait
des vers qui les rendaient attentifs aux magnificences de la création. Parfois quelque
moine studieux, s’approchant avec respect, sollicitait la faveur de recueillir dans sort;?
portefeuille l’une des poésies de l’humble vagabonde.
De nos jours même on conserve religieusement au Japon. la mémoire d’Onono-
Komatch, la femme extraordinaire, la vierge inspirée, pleine de modestie et sévère envers
elle-même au sein de la fortune, douce, patiente et toujours fervente pour l’idéal, jusqu’à
son extrême vieillesse et dans la plus profonde adversité.
C est la figure la plus populaire du Panthéon poétique de l’ancien empire des
Mikados.
Le grand siècle littéraire de cette période et, en général, de l’histoire du Japon s’ouvre
pai le.règne de Tenziten—Woo, le trente-neuvième'Mikado,.qui vivait dans la seconde
moitié du septième siècle de notre ère.
Ce prince prit à tache d’ennoblir l’idiome national, et les services qu’il rendit à cet
égard, par ses écrits aussi bien que par ses institutions d’éducation publique, le placent à
la tête des cent poètes de l’ancien idiome que l’on appelle la langue de Yamato, du nom
de la province classique du Nippon.
Les productions littéraires les plus monumentales du règne de Tenziten-Woo sont:
le Koziki, ou Livre des antiquités ; le Foutoki, monographie de toutes les provinces du
Japon ; le Nipponki, ou annales de l’empire ; un autre recueil de légendes nationales;
la première grande collection de lyriques ; le livre des usages^Ùu Daïri, et une encyclopédie
universelle, faite à l’imitation des chefs-d’oeuvre d’érudition et d’imagination que
déjà la Chine possédait en ce genre.
En feuilletant ces énormes recueils, naïvement illustrés de vignettes sur bois, on
ne peut s’empêcher de faire de curieuses comparaisons entre le monde tel que nous le
connaissons, et ce qu’il serait devenu si la création en eût été abandonnée aux mains des
philosophes chinois.
Que ceux-ci fassent de l’homme jaune aux yeux bridés le modèle par excellence des
êtres intelligents, il n’y a rien en cela qui doive nous surprendre ; mais l’on est vraiment
stupéfait du travail d’enfantement que ce type de perfection aurait coûté, à lés en croire,
ON;ONO-KOMATCH , I.A FEMME POÈTE.
au Créateur de l’univers. On voit des ébauches d’êtres humains n ’ayant encore qu'une
jambe et qu’un bras, ou une tête avec un seul oeil, ou deux jambes de cheval, ou des
jambes assez hautes pour permettre à l’individu de cueillir, sans échelle, les fruits des
arbres les plus élevés, ou des bras assez longs pour pêcher à la main, du sommet dès
falaises, ou des tailles et des cols à ressort pour faciliter les mouvements du corps et de
la tête, ou plusieurs jambes et plusieurs bras, et même plusieurs tètes, et toutes sortes
d’autres complications dont l’inopportunité se serait enfin démontrée à mesure que l’on
aurait appris à utiliser les ressources de l’intelligence.
Les encyclopédistes chinois se plaisent à constater qu’il ne reste autour d’eux plus
de traces de cette humiliante série d’essais informes et maladroits ; mais ils pensent qu elle