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CAUSES DE LA RÉVOLUTION FÉODALE. 387
Enfin, l’on comprendra aisément, d’après ce qui précède, que la plus sensible de
toutes les atteintes dont l’invasion de la civilisation moderne ait frappé la noblesse féodale
japonaise, c’est celle qui touche à son orgueil et à ses prérogatives de caste.
Représentons-nous au juste ce qui s’est passé dans la cause célèbre du meurtre de
Richardson.
Voici venir un daïmio de première classe, oncle et tuteur du jeune prince de Satsourna,
vice-roi des îles Liou-Kiou. Porté en palanquin et suivi d’un imposant cortège, il
aperçoit une cavalcade d’étrangers qui se dirige de son côté, à sa rencontre, sur la route
de Kanagawa. Ses éclaireurs l’informent que ce sont de simples marchands anglais, et
que dans leur société se trouve une femme, aussi à cheval. Toutes les idées d’autorité, de
morale, de bienséances sociales, du vieux seigneur japonais sont bouleversées. S’il arrivait
que, à portée de sa vue, un cavalier de son pays négligeât de mettre pied à terre et de
s’arrêter, ou qu’un piéton ne se tint pas respectueusement accroupi au bord de la route,
il aurait le droit de le faire tue*1; et maintenant, des étrangers, des gens du peuple, et
même d ’une classe inférieure à celle des paysans, savoir de simples marchands, dont
aucun ne devrait se permettre d’aller à cheval, et, qui plus est, une femme, galopent à
sa rencontré sans faire miné de vouloir retenir leurs montures. 11 n ’hésite pas un instant,
et ordonne de frapper. M. Lenox Richardson tombe, mortellement blessé. Ses compagnons
sont parvenus à s’échapper. Le cortège seigneurial poursuit majestueusement sa marche.
A cette affairé se rattache le plus étrange imbroglio politique qui se puisse imaginer.
L’Angleterre s’en prend au Taïkoun et veut lui imposer des réparations humiliantes.
Le Taïkoun décline toute responsabilité, et s’en remet, pour la solution du conflit, aux
bienveillants offices de la France. Cependant Satsourna doit être châtié. Non-seulement
il faudra qu’il paye d’énormes indemnités, mais qu’il s’engage à punir les coupables.
Hélas ! c’est une satisfaction que l’Angleterre et la France ont pu se donner plus tard,
que de faire procéder solennellement à l’exécution de fanatiques assassins. Seïdji, l’un
des meurtriers de Baldwin et de Bird, a été conduit en procession dans les rues de
Yokohama, et sa tête est restée exposée vingt-quatre heures aux regards des passants. Cet
exemple n’a point empêché l’attentat commis sur les hommes de la suite de sir Henry
Parkes, au moment où il së rendait à l’audience du Mikado, le 23 mars 1866; ni le
décret du Mikado, promulgué quelques jours après, n’a pu prévenir le massacre de tout
un équipage de la chaloupe du « Dupleix », le 8 mars 1868. C’est dans sa cause plutôt que
dans ses effets qu’il faut chercher à atteindre le fanatisme.
Le prince de Satsourna voit donc un beau matin, dix mois après l’événement du
Tokaido, paraître devant les murs de Kagosima, sa capitale, une escadre de guerre portant
pavillon britannique. II apprend que l’Angleterre, l’un des plus grands royaumes du
monde, vient lui demander raison de la mort d’un simple particulier, un marchand. Le
chargé d’affaires britannique, accompagné d’un vice-amiral, lui signifie des ordres au
nom de Sa Majesté la Reine. Ainsi, une étrangère, une femme, lui adresse des sommation^,
à lui, viril descendant des ïvamis du Japon, qui n’a fait que punir un insolent, selon
les loismationales de l’Empire! Peut-on se figurer une confusion plus complète de toutes