
mais avec la faculté de rejoindre temporairement celles-ci à la cour du Siogoun,
où elles continueraient de rester en otage.
Exemple unique et merveilleux, s’écrie Kæmpfer, qu’un si grand nombre de puissants
princes aient été mis sous le joug par un simple soldat, de vile extraction ! Mais ce
n était pas assez pour tenir les provinces sous la domination du nouveau pouvoir central.
Jusqu’alors les villes de résidence avaient seules été reliées les unes aux autres par une
route militaire. Taïkosama profita de l’absence des seigneurs pour jeter sur leurs terres
et jusqu’aux extrémités de l’empire une route ou chaussée indépendante de toute autre
garde; police ou juridiction, que celle du Siogoun. On l’appelle le Tokaïdo. Des étapes
y furent établies à vingt minutes de distance les unes des autres : c’est l’espace que frantamilles,
chissent encore aujourd’hui, sans se reposer, les coureurs impériaux qui font le service
de la poste aux lettres. On trouve, dans ces stations, des coureurs prêts à relayer leurs
camarades, des chevaux de somme et des chevaux de selle avec des harnais de rechange,
des officiers de douane et de police et un piquet d’hommes de guerre ayant à leur disposition,
pour armer des renforts, un râtelier garni de fusils et de lances. Enfin tout un
réseau de signaux de jour et de signaux de nuit se développe sur les hauteurs, pour
donner 1 alarme jusqu’au quartier général des forces du gouvernement, dès les premiers
indices du danger.
C est au milieu de ces travaux, qui par leurs résultats devaient avoir toute l’importance
d une occupation permanente des provinces féodales, que Taïkosama fut surpris par la
mort, à 1 âge de soixante-trois ans, dans la douzième année de son règne. Ses dernières
volontés eurent pour objet les mesures que lui paraissait réclamer la consolidation de
sa dynastie. Bien que son fils Fidé-Yori fut encore mineur, il lui donna en mariage la
fille de son premier ministre Iyéyas, et confia aux soins de cet ami la régence de l’empire.
Iyéyas s’obligea par un serment solennel, signé de son sang, à déposer ses pouvoirs
aussitôt que l’héritier présomptif serait en âge de monter sur le trône. Il ferma les yeux
à Taïkosama, lui fit de magnifiques obsèques et gouverna pendant cinq ans le Japon sous
le titre de régent, en s’appliquant à éloigner systématiquement des affaires le jeune Siogoun.
Mais celui-ci avait des conseillers qui devinaient où Iyéyas en voulait venir et
savaient susciter toutes sortes d’obstacles à la réalisation de ses plans ambitieux. Iyéyas les
somma de lui livrer le chateau fort d’Osaka, où ils avaient établi la résidence de son
gendre. Sur leur refus, il investit cette place. Après plusieurs mois d’une héroïque résistance,
la garnison dut capituler. Fidé-Yori, mettant de ses propres mains le feu à son
palais, se précipita dans les flammes avec ses serviteurs.
Iyéyas, proclamé Siogoü'n, justifia son parjure et la fin tragique de Fidé-Yori en
accusant ce prince d’avoir secrètement pactisé avec les chrétiens. L’armée lui prêta
le serment de fidélité. Le Mikado sanctionna son usurpation. Le peuple se prosterna
sur son passage avec la docilité de l’esclave.
C’est à l’usurpateur Iyéyas que' revient le mérite d’avoir fait de yédo la capitale politique
du Japon et la résidence obligatoire des familles seigneuriales de l’empire. A cette
époque, au commencement du dix—septième siècle, elle n’égalait en importance ni la
miako pontificale, ni la commerçante Osaka, ni même Nagasaki. Mais elle offrait,.comme
cette dernière cité, l’avantage d’une position stratégique facile à défendre du côté de
la terre, et considérée comme inexpugnable du côté de la mer. Nagasaki, à l’Ouest, au
fond d’une baie de l’île de Kiousiou, et Yédo, à l’angle Sud-Est du Nippon, formèrent
les deux têtes de ligne de cette grande route militaire du Tokaïdo, qui traverse, de l’Occident
à l’Orient, les contrées les plus riches et les plus populeuses du Japon-. Kæmpfer,
qui fit deux fois partie des ambassades de la compagnie des Indes néerlandaises à Kioto
et à Yédo, a compté sur le parcours du Tokaïdo, ou à proximité, trente-trois grandes
villes ayant château et cinquante-sgpt petites, villes" oü bourgades non fortifiées, sans
parler d’un nombre infini de villages et de hameaux.