
Les contes moraux nous transportent en pleine vie bourgeoise, et ils suffiraient à
démontrer que l’inspiration poétique, je dirai même le bon goût littéraire, sont loin
d’être étrangers à la classe moyenne de la société japonaise.
Sir Rutherford Alcock en a cité deux des meilleurs dans sa « Capitale du Taïkoun »,
et nous les reproduisons avec le fac-similé des modestes illustrations qui leur ont été
consacrées dans les esquisses d’Hofksaï.
LA VIEILLE FEMME ET LE MOINEAU
11 y avait une fois un vieux couple sans enfants.
Le mari, un beau matin, apporta un moineau en cage. Les cris assourdissants de
l’oiseau ne tardèrent pas à ennuyer la femme.
Bientôt elle ne chercha plus qu’un prétexte pour le faire disparaître de manière ou
d'autre.
Un jour qu’elle était sortie, notre étourdi, en se promenant hors de sa cage, aperçut
une robe neuve que la vieille avait commencé de coudre, et il s’amusa à en défaire les
coutures en arrachant tous les fils à coups de bec.
Aussitôt rentrée, la vieille, voyant cela, le saisit, lui coupe le bout de la langue et le
lâche dehors.
Lorsque, à son tour, le mari rentra à la maison :
« Où est l’oiseau? » demanda-t-il.
Sa femme lui avoua ce qu’elle avait fait.
« C’est une honte, poursuivit-il, de se montrer si cruel envers un pelil être que
d’ailleurs j ’aimais comme si c’eût été ma fille. »
Là-dessus il sortit pour se mettre à la recherche du moineau. Dès qu’il fut sur la
colline, il vit apparaître une charmante jeune fille, qui le remercia des bontés qu’il avait
eues pour elle pendant qu’elle était en séjour chez lui. En récompense, elle le pria de
se choisir un présent.
« Voici, dit-elle, deux corbeilles devant toi, l’une très-lourde, l’autre légère; tu n ’as
qu’à emporter celle que tu préfères.
Pour un pauvre vieux que je su is, fit le bonhomme, il vaut mieux prendre la
moins pesante. »
Ainsi fut fait, et selon la recommandation de la jeune fille, il n’ouvrit la corbeille
qu après etre rentré à la maison. Elle était pleine des plus beaux habits.
Le vieux dit à sa femme, qui était présente, d’où provenait cette richesse.
Je pourrai bien en faire autant, pensa-t-elle, et, de son côté, elle se mit à la recherche
du moineau.
Quand elle fut sur la colline, elle vit, en effet, la même apparition, et la belle jeune
fille, tout en lui reprochant ses mauvais procédés, lui présenta aussi deux corbeilles,
l’une très-lourde, l’autre légère.
ts Mon mari sera bien étonné quand il verra que je rapporte encore plus que lui à la
maison,A) se dit la vieille en soulevant la corbeille la plus pesante.
Elle la charge sur ses épaules, arrive avec peine, s’empresse d’ouvrir le couvercle...
et quelle n’est pas sa confusion, en,présence de son mari, lorsqu’elle voit sortir de la
corbeille deux affreux diablotins, qui, partent ricanant, glapissant, gambadant, et lui faisant
la nique !
LE MAGICIEN MALGRÉ LUI
11 y avait aussi un autre vieux couple sans enfants, un vrai couple de braves gens ;
seulement, la femme était un peu bavarde.
Ils possédaient, pour tout luxe, un chien favori.
Or un bon esprit faisait sa demeure dans le corps du fidèle animal.
Un jour celui-ci conduisit le vieillard dans un bois, et lui indiqua l’endroit où un
trésor était enfoui.
La vieille en causa, et cela parvint aux oreilles d’un voisin qui était un méchant
homme.
Celui-ci força le chien de le conduire aussi dans le même bois ; mais, ayant creusé à
1 endroit que le chien lui désignait, il n ’y trouva que des pierres. Transporté de fureur,
il tua la pauvre bête, et l’enterra sur place.
Quand le vieillard eut appris ce qui s’était passé,, il ne demanda, dans sa douleur,
qu’à savoir où reposait le corps de son ami.
Le méchant voisin le lui ayant dit, il y alla, et, abattant l’arbre au pied duquel le chien
était enterré, il façonna de ses branches une petite chapelle à la mémoire du fidèle animal.
Quant au tronc, il en fit un mortier pour piler son riz. Mais à peine avait-il commencé
à se servir de cet ustensile, qu’il en sortit de l’or.
La vieille le dit en grand secret à l’oreille d’une voisine. Le lendemain le méchant
voisin venait emprunter le mortier.
Le vieillard s’empressa de le lui prêter.