
lants, qui se mettent en route pour la Cité avant le lever du soleil, et qui ne regagnent leur
gîte que dans les ombres de la nuit. Ce sont les savetiers raccommodeurs de sandales en
bois, les étameurs, les chaudronniers en plein vent, les trafiquants de porcelaine brisée, les
marchands de vieux habits, les colporteurs d’étoffes au rabais pour ceintures et kirimons
de femmes : tous gens très-consommés dans l’exercice de la patience, ainsi que dans le
calcul des fractions de fractions; quand le boulier-compteur n’y suffit pas, l’index de la
main gauche va chercher le chiffre rebelle jusque sous la petite mèche à boudin qui couronne
le sommet de la tête; ainsi l’exige le génie de la comptabilité japonaise.
Mais gardons-nous d’oublier le chiffonnier de Yédo, quia , sans le savoir, contribué
pendant quelques années à l’alimentation des papeteries de l’Angleterre. C’est le matin et
le soir qu’il va se promenant et furetant sur les places publiques et dans les rues populeuses
du Hondjo et de la Cité marchande, chargé non d’une hotte, mais d’une sorte de
corbeille à papier, qu’il porte à Ja main gauche. 11 tient de la main droite une paire de
longs bâtonnets à l’aide desquels il pince et enlève délicatement, pour le jeter dans son
panier, tout ce qui lui paraît de bonne prise.
Les gens à professions ambulantes ne s’arrêtent guère aux curiosités du chemin qu’ils
parcourent. A Yédo cependant on les verra échanger "volontiers quelques propos sympathiques,
accompagnés de deux ou trois bouffées -de tabac, avec leurs amis naturels, les
bohèmes de carrefour dont la bonne ville abonde. Celui-ci fait danser sur le pavé ce que
nous appellerions un polichinelle, mais c’est proprement une poupée articulée revêtue du
costume de la secte des prêtres sauteurs. Celui-là exhibe sur une table le modèle d’un
temple d’Amida : une souris blanche en gravit les degrés, donne un coup de sonnette sous
le portail et fait ses dévotions devant l’autel. Un troisième montre des oiseaux dressés à
tirer de la re , à piler du riz, à puiser de l’eau d’un puits, à traîner un chariot- de balles
Wm
de coton. Un jongleur de rue se tient en équilibre sur deux hautes planchettes posées de
champ, et fait faire la roue au-dessus de sa tête à trois ou quatre flacons ou tasses en porcelaine;
il casse un oeuf et en tire vingt mètres de lacet; il broie un peu de papier dans la
paume de sa main, et une nuée de moucherons artificiels en sortent un instant après.
La plupart de ces baladins spéculent moins sur la recette de la représentation que suite
débit de quelques objets de pacotille ou de rebut, que les marchands de la Cité leur remettent
en commission. Des marionnettes et des diablotins attirent autour de la caisse qui
leur sert de tréteaux, des troupes d’enfants dont les regards ont bientôt découvert que cette
caisse est remplie de cornets de sucreries. Le revendeur d’éventails en ouvre un et faif
rouler en avant et en arrière, sur là tranche même de l’instrument dont il veut démontrer
l’excellence, une grosse toupie ou une balle de jeu de paume. D’autres histrions colportent
dans les quartiers aristocraliques des échantillons variés de l’industrie des faubourgs.
Dans plusieurs boutiques de Foukagawa l’on fabrique et l’on met en vente, par paquets
élégamment liés de cordonnets de soie, les bâtonnets de bois dur ou de bambou
(hasi) qui font l’office de nos fourchettes, ainsi que des cure-dents d’un bois doux et savoureux
(viburnum kambok’) qui semble être expressément créé pour le rôle que les Japonais
lui attribuent dans les plaisirs de la table; enfin des brosses à dents façonnées tout
entières de bûchettes de bois blanc dont on taille l’une des extrémités de manière à la convertir
en un petit bourrelet de filaments à moitié frisés.
Les Japonais ont une poudre à dents qui leur est propre, dans laquelle il entre, dit-on,
de la poussière d’ivoire. Elle se débite dans de petites boîtes dont le couvercle à coulisses
est orné de gravures coloriées, qui varient selon que la marchandise est de première ou de
deuxième qualité. On fait plus de luxe et l’on va jusqu’à la cassette de métal pour la poudre
avec laquelle les femmes mariées se teignent les dents en noir..