
gaze, de crêpe et de brocart, et les trois lames d’or verticales qui surmontent son
diadème semblent être comme les anthères d’une divine reine des -fleurs.
Led invitées sont rangées en demi-cercles concentriques en face de leur souveraine.
Sur un geste de sa main, les dames d’honneur en charge s’approchent
et reçoivent, prosternées, les ordres nécessaires pour la direction des entretiens
anecdotiques ou des joutes littéraires. La cour de la Kisaki est l’académie des
Jeux Floraux du Japon. Le troisième jour du troisième mois, dans la première
quinzaine d’avril, tous les beaux esprits du daïri se réunissent dans les vergers fleuris
du castel, au bord de frais ruisseaux ; le saki circule dans les coupes de salvocat, et
de charmants défis s’échangent entre gentilshommes et nobles damés, à qui saura
trouver et peindre sur le classique éventail de cèdre blanc, orné de feuilles de lierre,
les stances les plus poétiques pour célébrer le réveil du printemps.
Cependant la cour de l’impératrice admettait d’autres distractions qtfè les divertissements
littéraires. Elle avait sa chapelle, composée essentiellement d’instruments à cordes,
tels que le violon à trois cordes, le samsin, mandoline japonaise, le biwa, sorte de
violoncelle dont on joue sans.archet, et le gotto, instrument à Jix cordes, mesurant,
posé à plat, jusqu’à deux mètres de longueur : le premier fut fabriqué, l’an 300, des
restes d’une pirogue du Mikado ; malgré la différence des dimensions, le gotto rappelle
la cithare des Tyroliens. A la musique s’alliaient les représentations théâtrales. Un corps
de jeunes comédiennes jouait de petits opéras-féeries, ou exécutait des dansés de caractère :
les unes graves et méthodiques, exigeant l’emploi du manteau à queue, aux longues-
manches pendantes ; les autres, vives, légères, pleines de fantaisie, rehaussées dë’traves-
tissements où Ton voyait apparaître les danseuses avec des ailes d’oiseaux ou de papillons.
Les dames du daïri avaient, en outre, leurs loges grillées, non-seulement au théâtre
impérial, mais au cirque des lutteurs et des boxeurs attachés à la cour des Mikados en
vertu d’un privilège de l’an 24 avant l’èré chrétienne. Enfin, lorsqu’elles étaient en petit
comité, à leur maison de plaisance, elles aimaient à se faire donner devant la véranda le
spectacle des-combats de coqs. Une-certaine classe d’officiers de l’impératrice étaient
spécialement préposés à 1 arrangement de ces barbares et ridicules récréations. Ils portaient
une casaque et un pantalon bouffants, qui leur donnaient la tournure d’une balle
de jeu de paume. **
Les moeurs et les usages de la cour de Kioto se maintiennent de nos jours, à cette
exception près qu’ils n’offrent plus le moindre vestige de vie artistique et littéraire. On
les conserve machinalement et autant que le permet la pénurie du trésor. Ce sont les
derniers témoins de la civilisation du vieil empire. Concentrés aujourd’hui sur un seul
point du Japon, ils y apparaissent immobiles comme les tombeaux des collines funéraires.
Cependant, tout autour de l’antique Miako, une vie nouvelle envahit les villes et
les campagnes. Le Taïkoun y a développé le réseau des institutions civiles et militaires de
sa moderne monarchie, et déjà, devant les' ports de la mer intérieure, la fumée des
steamers de l’Occident annonce Tavéhement de la civilisation chrétienne. >
Ces circonstances donnent un intérêt tragique à la situation actuelle de l’ancien empereur
héréditaire et théocratique du Japon, cet invisible Mikado dont on ne trouve pas
même l’occasion de parler en décrivant sa cour.
Mais lui aussi devra sortir de l’ombre mystérieuse qui le protège. La force de% événements
l’amènera tout à coup au grand jour de la scène historique contemporaine.