
couverts d’ulcères, estropiés ou culs-de-jatte, c’est à qui se présentera sous l’aspect le plus
pitoyable. 11 en est qui ne portent d’autre vêtement que des lambeaux de vieilles nattes
d’emballage. Tous ces infortunés excitent le dégoût plutôt que la commisération des. passants.
C’est avec peine qu’ils arrachent à ceux-ci quelque chétive aumône. Leurs voisins
à tète tonsurée démontrent, au contraire, comment il faut s’y prendre pour vivre largement
et agréablement de la charité publique. L’un d’eux, frais et dispos, gracieux et bien
vêtu, passe sa vie à montrer une sainte image réputée miraculeuse. D’autres religieux
forment la transition entre les ordres mendiants et les charlatans de la foire. Ce sont les
Yamabos, ou bonzes des montagnes, qui vont de ville en ville exhiber une chapelle portative,
vendre des rosaires, débiter des talismans et donner des recettes médicinales. Ils se
distinguent généralement par une taille imposante, comme il convient à des prêtres
adonnés à la magie. Ils portent une tunique blanche, un bâton de montagne à pomme
de cuivre et un long sabre recourbé. Dès qu’ils ont installé leur chapelle, ils annoncent
l’ouverture de leurs pieux exercices aux sons d’une conque de triton. La plupart se marient.
Les fils gardent la maison pendant l’absence du père, et servent de guides aux pèlerins
qui passent la montagne. Les filles demandent l’aumône ou font valoir leurs charmes
selon le privilège qui leur est acquis de toute ancienneté, sans autre redevance qu’un tribut
annuel en faveur du vieux temple du Soleil dans la province d’Isyé.
De toutes les industries qui empruntent le pavé de la voie publique, il n ’y en a pas de
plus répandue que celle des restaurateurs en plein vent. C’est la table d’hôte naturelle
d’une multitude d’artisans et dejnanoeuvres qui, pour toutes sortes déraisons, n’ont pas
l’habitude de manger à heures fixes. C’est aussi le complément obligé d’un grand nombre
de cuisines bourgeoises dont le menu journalier ne comporte pas autre chose que le riz et
le thé. La maîtresse de la maison reçoit-elle une visite ou veut-elle faire quelque invitation,
le restaurateur ambulant lui fournit, à toute heure, ce dont elle peut avoir besoin :
poisson frit, morceaux de volaille apprêtés, fèves, petits gâteaux de paddi, et surtout ces
exquises boulettes de riz rôties, que l’on mange trempées dans la sauce de soïa.
La foire d’Asaksa abonde en appétissantes rôtisseries et en marchés de comestibles
de toute espèce. On y vend en petits tonnelets munis d’une anse qui en facilite le transport,
des légumes salés, des légumes secs, du poisson mariné, du gingembre, des condiments
assortis, du saki de première et de seconde qualité.
Les étalages d’ustensiles de cuisine réunissent les produits céramiques de toute la confédération
japonaise. A côté des objets en kaolin des îles de Kiousiou et de Nippon, ceux
que l’on fabrique en terre de pipe de la principauté de Satsouma méritent une mention
spéciale, plutôt en raison de leur bon usage que de leur valeur artistique. C’est de cette
terre fine et poreuse que l’on fait les meilleures théières du Japon. Elles suintent pendant
quelques semaines ; mais lorsqu’elles se sont imprégnées du résidu de la boisson que l’on
y prépare journellement, celle-ci gagne de plus en plus en richesse aromatique. Prendre
du thé de la sorte, c’est, à la lettre, le boire dans un vase de thé.
lies boutiques de papeterie et de librairie sont au nombre de celles qui attirent le
plus d’acheteurs. Tous les provinciaux des deux sexes veulent s’approvisionner de papier
à lettrés^ d’enveloppes et de cartes de visite des fabriques de la capitale. On ne recherche
pas moins ces excellentes écritoires de cuivre, que l’on passe à la ceinture, et qui ressemblent
à un étui de pipe, dont le fourneau serait remplacé par un encrier et le tuyau
par un pinceau.
L’imagerie populaire fournit en abondance des oeuvres enluminées de trois catégories
bien tranchées. Les plus vulgaires ont la forme de petits cahiers et renferment des contes
dont les héros sont des personnages monstrueux, moitié hommes et moitié animaux ou végétaux;
leurs faits et gestes sont à l’avenant: je ne connais rien de plus grossier ni de
plus insensé que ces ridicules productions. Une autre série se compose de grandes feuilles
volantes, n’ayant que fort peu de texte et ne traitant que des sujets puisés dans la vie
réelle, au moins vingt et souvent plus de cinquante par feuille. On dirait, à première vue,
des planches sorties des ateliers de Montbéliard ou d’Epinal. Elles ont essentiellement
pour but de provoquer le gros rire et même la malignité du bas peuple, en l’amusant
à la fois des trivialités de son existence journalière et de certains travers des classes privilégiées.
Enfin l’imagerie que l’on peut appeler éducative, est l’une des choses les.
plus intéressantes et les plus respectables du Japon. Que ce soit avec intention de la part
des éditeurs, ou sans préméditation quelconque, il est peu de pays où l’instruction se
propage si largement parmi le peuple, au moyen de l’enseignement intuitif. Les estampes
sont collées par classes de sujets sur de longues bandes de fort papier que l’on conserve
en rouleaux. Elles embrassent tous les domaines de l’activité nationale, comme on peut
en juger par ces quelques titres que je détache, au hasard, de toute une bibliothèque de
rouleaux : la culture du riz, la culture et l’emploi du mûrier, l’utilité de la soie, la culture
et l’usage du coton; les rrçines et leurs travaux ; l’hôtel des monnaies à Yédo; la pèche
de la baleine au moyen du grand filet, sur les côtes de Yéso; la chasse à l’ours par les