
leurs collines funéraires et les sombres cloisons des retraites monastiques. Ces lignes
interminables de palais et de couvents qui attristent la capitale et les riches campagnes
dont elle est entourée, c’est le cadre inflexible et glacial d’une organisation sociale
savante mais surannée, autrefois toute-puissante, actuellement condamnée. Et ce ne sont
pas nos canons qui l’ont battue en brèche. Elle s’écroule intérieurement, parce qu’elle
était foncièrement inhumaine, et que le souffle de l’esprit du siècle a pénétré dans la
place. Celle-ci ne semble déjà plus renfermer que désordre et dissolution; grands et
petits daïmios, Mikado .et Taïkoun, hatlamotos, yakounines, grand prêtre de Kioto, pontifes
du bouddhisme, tout ce monde autoritaire est présentement aux prises, dans une
immense et suprême mêlée intestine.
Le peuple assiste en simple spectateur à ces luttes qui ne le concernent qu’indirectement.
11 laisse aux hommes à deux sabres le soin de vider entre eux leurs querelles,
et il ne se doute pas encore qu’un jour viendra où sa propre intervention, ou,îpour
mieux dire, sa propre importance finira par être d’un poids décisif dans la. solution des
problèmes qui s’agitent autour de lui.
C H A P IT R E LIV
LA VEILLE DE JOUR DE L’AN, A YÉDO
. Le 6 février 1864, avant-dernier jour de l’année japonaise, je me trouvais pour lg
seconde fois à Yédo, où la corvette hollandaise « le Djambi, » capitaine Van Rees,
m’avait transporté pour procéder, de concert avec les délégués du Taïkoun, a la signature
du traité suisse. Outre les membres de la mission, quelques amis assistèrent à la cérémonie,
entre autres M. de Polsbroek, représentant des Pays-Bas, et M. le capitaine de
vaisseau Le Couriault du Quilio, commandant de « la Sémiramis, » vaisseau amiral de
l’escadre française. Le Tjoôdji était plein comme un hôtel des Alpes par un beau soir
d’été, le temps magnifique, la société on ne peut mieux disposée. Le Castel nous
envoya, pour la forme, quelques yakounines, qui nous laissèrent mettre à profit nos
heures de liberté comme nous l’entendions. Des parties a pied et à cheval s organisèrent
immédiatement dans plus d’une direction, pour la soirée meme et pour les jours suivants,
Dans tous les quarliers de la capitale, les' habitants achevaient leurs préparatifs de
fête. Ils avaient nettoyé de fond en comble leurs demeures, épousseté et restauré leur