
C’est aux portes des maisons de thé de Takanawa que débutent les chanteuses, les
danseuses, les saltimbanques nomades qui viennent exploiter la capitale. Parmi les premières,
il en; est qui forment une classe privilégiée, mais astreinte à une certaine discipline
de police. On lesirecônnaît à leurs grands chapeaux plats rabattus sur les tempes;
elles vont toujours deux à deux ou quatre à quatre, lorsque les deux danseuses accompagnent
les deux musiciennes : celles-ci jouent du samsin et chantent des complaintes
romanesques.
Les saltimbanques favoris des carrefours japonais sont de jeunes garçons qui, avant
de commencer leurs tours, se cachent la tète dans un gros capuchon, surmonté d’une
touffe de plumes de coq et d’un petit masque écarlate figurant un museau de chien.
Les pauvres enfants, en se ployant et se déployant l'un sur l’autre, au son monotone du
tambourin de leur conducteur, présentent le spectacle d’une lutte grotesque et réellement
fantastique entre deux animaux à tête de monstre et à membres humains.
Aux bruits assourdissants des divertissements de la place publique se mêlent, presque
aussi fréquemment qu’à Kioto, les sons des timbres et des' clochettes de frères
mendiants. J ’en vis, pour la première fois, qui n’étaient pas tonsurés et m’informai de
l’ordre auquel ils pouvaient appartenir. Notre interprète me répondit que ce devaient
être des laïques, de simples bourgeois de Yédo faisant de la dévotion métier et marchandise.
Bien qu’ils fussent tous également vêtus de blanc en signe de deuil ou de
pénitence, ceux qui portaient une clochette, un long bâton, quelques livres dans un
panier, et un grand chapeau blanc orné, sur le côté, d’un dessin du Fousi-yama,
venaient d’accomplir un pèlerinage sur la sainte montagne aux frais de la charité publique
; et les autres, chargés d’un timbre à la ceinture, d’un vaste chapeau noir et
jaune et d'une lourde châsse sur le dos, étaient probablement des chônins, de petits
marchands ruinés, qui n ’avaient rien trouvé de mieux que de se faire colporteurs et
montreurs d'idoles à la solde de quelque bonzerie. •
A la hauteur du Hatoban, une longue rue se détache du Tokaïdo, coupe obliquement
la .chaîne de collines où sont situées les légations, et traverse en ligne droite,
du Sud au Nord, la partie septentrionale de Takanawa.
Nous la suivîmes^ jusqu’au bout, et elle nous fit passer successivement p'ar trois
zones bien distinctes de-la,vie sociale de Yédo.
C’était, en premier lieu, celle que je viens de décrire, la zone méridionale, avec sa
cohue de gens,vivant en plein air de l’exploitation de la voie publique.
Nous rencontrâmes: a u . contraire, derrière les collines de nos- bonzeries, une population
toute sédentaire, vouée, dans. ses demeures, à divers travaux manuels. Les ateliers
s’annoncent au. loin par des .enseignes significatives : tantôt c’est une planche taillée en
forme de chaussure, ou sur le patron d’un kirimon; tantôt ùn énorme parapluie en
papier, ciré, ouvert comme:.un auvent, au-dessus de la boutique ; ailleurs, une.quantité
de chapeaux de paille de toute%dimènsions,, enfilés du haut du toit, de la maison jusqu’à
la porte du magasin.-Nous regardâmes un instant des armuriers et des fourbis-
seurs occupés à monter des-cottes de mailles, des éventails dé guerre en fer. et des