
Toutes les bonnes gens qui composent la population de la plagé m’accostent avec des
paroles amicales. Les enfants m’apportent des coquillages nacrés. Les femmes m’expli-
quènt de leur mieux les propriétés culinaires des affreux petits monstres marins qu’elles
entassent dans leurs paniers. Ce^ fond de bonhomie et de cordialité est un trait de
caractère'commun à toutes les classes inférieures de la société japonaise, plus d’une fois,
en parcourant à pied les environs de Nagasaki ou (fe Yokohama, j ’ai été invité par des
gens de la campagne à entrer dans l’enclos de leur demeure. Là, ils me faisaient admirer
les fleurs de leur jardin et en coupaient quelques-unes des plus belles pour en composer
un bouquet qu’ils mettaient à ma disposition. C’est en vain que j ’essayais de leur faire
accepter en échange une pièce de monnaie, et ils ne me laissaient partir qu’après m’avoir
offert dans leur chambre de ménage une collation de thé et de gâteaux de riz.
Le printemps est la saison qui présente le plus d’attrait au promeneur sur les rives
de la baie de Yédo. Lorsque l’on s’élève sur quelqu’une des sommités qui la bordent,
l’intérieur des terres, se développant au pied du Fousi-yama, offre une succession non
interrompue de collines boisées et de vallées cultivées, entrecoupées de rivières ou de
golfes qui ressemblent de loin à des lacs. On distingue sur leurs bords des villages à
demi cachés sous les arbres, et sur divers points de la campagne des fermes entourées
de jardins, vers lesquelles se dirigent des sentiers ombragés.
La précocité de la végétation dans les rizières et sur les collines cultivées, la quantité
d’arbres toujours verts qui, de tous côtés, se présentent à la vue, donnent au printemps
du Japon un caractère d’austérité que cette fraîche saison ne revêt nulle part au
même degré. Et cependant on chercherait vainement ailleurs une floraison plus luxuriante,
une végétation printanière plus souriante et plus riche en détails gracieux. Sur les
teintes sombres du feuillage des pins, des sapins, des cèdres, des cyprès, des lauriers, des
chênes verts, des bambous, qui composent le fond du paysage, des touffes de fleurs et
de feuilles aux couleurs éclatantes se détachent le long des haies, dans les vergers et
autour des villages. Ici, ce sont les larges fleurs blanches du mûrier sauvage ; là, des
camélias croissant en pleine campagne et atteignant la taille de nos pommiers ; ailleurs,
des cerisiers, des pruniers, des pêchers, pour la plupart chargés de fleurs doubles,
les unes toutes blanches, les autres d’un rouge très-vif, et quelquefois les mêmes branches
portant des fleurs rouges et des blanches ; car très-généralement les Japonais, indifférents
à la récolte des arbres que je viens de citer, ne les cultivent et ne les greffent que pour
en obtenir des fleurs doubles et pour en varier ou combiner les espèces. Le bambou,
que l’on emploie beaucoup comme tuteur, prête souvent son élégant feuillage aux épines
fleuries, aux rameaux de jeunes arbres fruitiers sans autre parure que leurs pompons de
fleurs. Mais j ’aime à le voir surtout lorsqu’il croît par groupes solitaires, comme une
gerbe de gigantesques roseaux. Rien de plus pittoresque dans le paysage que ces hautes
tiges vertes, polies, aux reflets dorés, à la cime touffue ; et tout autour des colonnes principales,
ces sveltes et flexibles rejetons aux têtes empanachées, et cette multitude de
longues feuilles flottant au gré du vent comme des milliers de banderoles ondoyantes.
Les bosquets de bambous sont l’un des sujets favoris d’études des peintres japonais,
soit qu’ils se bornent*à en reproduire les lignes gracieuses, les effets harmonieux, soit
qu’ils animent le tableau en y ajoutant l’image de quelqu’un des hôtes qui fréquentent
ces verdoyants asiles: la frêle libellule, le. papillon, les petits oiseaux, et, dans les
retraites éloignées des habitations, la fouine, le blaireau, l’écureuil noir et le singe brun
à face rouge.
Les chemins sont bordés de violettes, mais elles n’ont pas de parfum. Le pays
ne produit qu’un très-petit nombre de plantes odoriférantes. Il est remarquable que
l’on y rencontre aussi fort rarement l’alouette, le rossignol, ou d autres oiseaux chanteurs.
Peut-être l’absence de parfums et de chants aü milieu de toute la richesse (fune
végétation luxuriante contribue-t-elle à amoindrir l’effet que les campagnes japonaises
sembleraient devoir produire sur l’imagination. Il est certain que l’on n’éprouve pas,
à les contempler, cette sorte d’attendrissement et de reyeuse exaltation que cause en
Europe l’aspect d’un beau paysage à l’époque du réveil de la nature. Sans examiner
d’ailleurs jusqu’à quel point notre sensibilité s’alimente de souvenirs d’enfance et d idées
traditionnelles qui ne sauraient trouver d’application dans le monde de l’extrême Orient,
je présume qu’une chose encore peut contribuer à y refroidir notre enthousiasme, c’est
que, pour ainsi dire, la nature y est trop cultivée.