
ciants que la fortune s’était obstinée à poursuivre de ses largesses, on ne travaillait généralement
que pour vivre et l’on ne vivait que pour jouir de l’existepce. Le travail même
rentrait dans la catégorie des jouissances les plus pures et les plus ardentes. L’artisan se
passionnait pour son oeuvre, et, loin de compter les heures, les journées, les semaines
qu’il y consacrait, il ne s’en détachait qu’avec peine lorsque enfin il l’avait amenée non
pas à une certaine valeur vénale, qui était le moindre de ses soucis, mais à un degré
plus ou moins satisfaisant de perfection. La fatigue venait-elle le surprendre, il quittait
l’atelier pour se donner du repos tout à son aise, soit dans l’enceinte de son habitation,
soit en compagnie de ses amis, dans n’importe quel lieu de plaisir.
Il n ’est pas de demeure japonaise de la bonne bourgeoisie qui n’ait son petit jardin,
. asile sacré de la solitude, de la sieste, des lectures amusantes, de la pêche à la ligne, et
des longues libations de thé ou de saki.
Les chaînes de collines qui sillonnent les quartiers situés au Sud, à l’Ouest, ou au Nord
du Castel, sont remarquablement riches en belles parties de rochers, en jolis vallons, en
grottes, en sources et en étangs, que la petite propriété utilise de la manière la plus ingénieuse,
pour réunir dans un étroit espace les agréments d’un paysage varié. Si la nature
n’y suffit pas, on a soin d’isoler le frais enclos au moyen de haies vives ou de palissades,
et de cloisons de bambou recouvertes de plantes grimpantes. Quand il y a une entrée de
jardin sur la rue, on jette un pont rustique sur le canal qui est devant la porte, et on dissimule
celle-ci sous des touffes d’arbres et d’arbustes à l’épais feuillage. A peine en a-t-on
franchi le seuil, que l’on se croirait au sein d’une forêt vierge, bien loin de toute habitation
humaine. Cependant des quartiers de rocs négligemment disposés en escalier engagent
le visiteur à gravir la colline, et tout à coup, dès qu’il en atteint le sommet, il
découvre à ses pieds un spectacle charmant : il voit au fond d’un cirque de verdure
et de fleurs un étang gracieusement découpé, dont les rives sont tapissées d’une bordure
de lotus, d’iris et de nénufars ; un léger pont de bois le traverse ; le sentier qui y
mène descend de gradin en gradin, et passe en longs circuits par des bosquets de
bambous panachés, d’azalées, de palmiers nains, de momes et de camélias; puis
au pied dé beaux groupes de pins des plus petites espèces, couronnant des rochers
revêtus de lierre ; et enfin le long de collines gazonnées ou émaillées de fleurs,. parmi
lesquelles le lis élève sa blanche corolle au-dessus d’arbustes nains ou taillés en formes
arrondies* -
Quand on contemple ce tableau du fond de la vallée, il n ’ofFre de tous côtés aux regards
que des lignes gracieuses, des mouvements de terrain ondulés, des combinaisons
de formes et de couleurs également harmonieuses. Rien n’y excite particulièrement l’attention;
tout, dans l’ensemble et dans les détails de la scène, tend à replier l’esprit sur
lui-même, à le bercér de molles rêveries, et à ne lui laisser d’autre impression que la
vague jouissance du répos.
Bien que les Japonais se complaisent, à l’occasion, en cet état voisin de l’insensibilité
physique et de l’anéantissement idéal recommandés par le bouddhisme, ils sont pourtant
fort éloignés de s’y livrer avec passion ou par système. S’ils ont quélque esprit de suite