
ment une partie de ses provisions de ménage. Il se présente* en concurrence avec les
revendeurs de la capitale, aux enchères publiques de riz, de légumes, de fruits et de
charbon, qui ont lieu à époques fixes dans certains arrondissements ruraux. Puis,' cette
satisfaction donnée à son génie mercantile, rien ne s’oppose plus à ses jouissances contemplatives.
Il va revoir le cèdrè" antique sur lequel il a peint les initiales de son nom et la date de
sa première visite. 11 en connaît un plus ancien encore, planté par un kami,- selon les registres
de la bonzerie voisine celui-là contient à sa-bifurcation un réservoir naturel-plein
d’une eau très-efficace contre certaines maladies.
On peut en boire par petites gorgées au moyen d’un godet de bambou suspendu à une
longue perche. Ce réservoir miraculeux a fait sourire le malin habitant de la Cité, mais, il
y a bu tout de même. 11 sait, d’autre pari, à quelle heure précise une source intermittente
jaillit de la roche d’un ermitage, dont le saint anachorète s’imagine être pour quelque
chose dans cette merveille quotidienne, et ne manque jamais d’en faire les honneurs aux
curieux, moyennant une équitable indemnité. Mieux vaut, selon l’avis du citadin, récompenser
les soins industrieux des bonzes éleveurs d’abeilles, quand ils s’empressent d offrir
aux visiteurs un frais rayon de miel cueilli sur quelque sapin de leurs bosquets sacrés. Iliy
a aussi des bonzes éleveurs de volaille, et d’autres voués à‘la pisciculture, vendant, au choix
de l ’amateur, des poissons rouges, dorés ou argentés pour les aquariums de salon, ou des
carpes toutes rondes de graisse et des gouranis de Chine pour les tables les plus opulentes.
Moyennant quelques centimes par heure, ils permettent;aux curieux de,jëter l'hameçon
dans les étangs d e là bonzerie, et d’emporter à domicileUes produits de leur pêche.
Certains ordres monastiques s’adonnent à l’éducation des-tortues, ou à celle des canards
mandarins, o u à la fabrication des confitures. Il n ’est pas de couvent, de temple ou
de chapelle de la banlieue qui ne se distingue par quelque particularité plus ou moins
intéressante :-ici, un groupe de palmiers, là des bananiers, ou des bambous du n e crue
extraordinaire, ou des chênes toujours verts, ou des platanes, des érables, des azalées gigantesques,
ou des cerisiers, des pêchers et des pruniers à fleurs doubles ; ailleurs, des
lotus, soit blancs, soit rouges, des haies de buis ou de charmille, des arbres nains, des
plates-bandes de fleurs énormes, des monticules taillés sur le modèle du Fousi-yama et
accessibles au public à :certaines fêtes de l’année.
D’autres.collines, que la main de l’homme n’a touchées que pour les planter de beaux
a rb r e s , sont réputées à 'diVers titres : celle-ci, comme étant le point d’où’l’on peut le
mieux observer, le spectacle princier des chasses au" faucon ; celle-là, parce qu’elle domine
un champ de bataille demeuré célèbre. Plusieurs sont couvertes de monuments
funèbres, étagés enterrasses semblables à de petits jardins-. On passe’ dê l’une ;à'Tautre
au moyen de quelques marches d’escalier, sans grilles ni fermeture'quelconque.'Les
monuments présentent une infinie variété dé style ét'd’ornementation, selon la'condition
sociale ef la secte auxquelles ont appartenu les défunts.'Souvent la tablede Tépitaphe est
dressée sur la carapace d’une tortue de pierre, symbole dé l’éternité.'Un grand nombre
de tombes ont la forme d’un socle surmonté d’une statue de Bouddha‘ou de quelque divinité
auxiliaire du bouddhisme, telle que Quannon ou Amida, chacune également
accroupie sur une fleur de lotus. Ces images taillées dans le granit, le grès ou le basalte
sont parfois d’un très-beau' travail. Les plus antiques sont tachetées de mousses ou capricieusement
enlacées de branches de lierre et de guirlandes de liserons, ’ Des pins gigantesques,
des ifs, des cyprès, des lauriers ajoutent à l’austère impression des enclos funèbres
lecharme'dé leurs groupes pittoresques, qui se détachent-suf l’azur du ciel ou sur
les-lointains vaporeux de la plaine. ' -
L’un des plus intéressants cimetières des environs de-Yédo, celui de Schorin-in’, est
spécialement consacré aux hommes, qui se sont rendus illustres dans les lettres ou dans
les sciences. . * •
- On rencontre aussi fréquemment, en pleine campagne ou à l’entrée des villages, des
pierres commémoratives de quelque événement historique, et surtout, de petites chapelles
élevées 'en l’honneur de tel ou-tel héros des guerres qui1 ont fondé la dynastie d’Iyéyas.
Le bouddhisme a imprimé son cachet sur tous les lieux-dignes-de fixer l’attention des
promeneurs. 11 n’est pas de grotte qui n ’ait son idole-et son tori, pas de lac qui ne contienne
un îlot avec son petit temple dédié à Benten.
On dit qu’en jetant de la sorte son réseau sur les campagnes.japonaises, la religion
des bonzes a bien mérité de la société. Elle est intervenue maintes fois en faveur de ses
serfs ou de ses clients au milieu des partis politiques, et a réussi, en plus d’une province,
à opposer une digue aux dévastations des guerres civiles. C’est à elle que certaines
contrées sont redevables de leur riche végétation. Partout elle a pris les forêts sous sa
sauvegarde; partout elle a rehaussé de ses pieux ornements les beautés ^naturelles du
Nippon.
Quoi qu’il en soit de cet éloge, le jour viendra sans doute où il ne conservera plus
qu’une valeur rétrospective. Quand les temps de la barbarie féodale seront passés, le monachisme
n’aura plus sa raison d’être, et quand la terre appartiendra au travail, les
campagnes de Yédo n’auront rien à regretter de l’administration des bonzes.
Dans leur état actuel, l’impression générale qu’elles produisent est un mélange indéfinissable
d’admiration et de tristesse. Lorsque je me rappelle les scènes splendides du
coucher du soleil illuminant les vergers en fleur, les bosquets de bambous, ‘"les canaux
des rizières, oU quelque anse lointaine^e la baie, ou la neige éternelle’du’yelgan,ije ne
puis m’empêcher d’associer à'ce s grands tableaux le bruit -monotone du tambour des
bonzeries et le pénible spectacle de. 1 am isè re des avillageois. L’oeuvre de l'homme, sous
le beau ciel du Nippon, forme un contraste choquant avec l’oeuvre de'Dieu. Ce que
l’on s’attendrait à rencontrer au sein de cette magnifique nature, ce sont .de riants villages
groupés dans les plaines fertiles, d’élégantes villas parsemées sur les collines verdoyantes.
Tout au contraire, les institutions politiques de 1/Empire relèguent le cultivateur
dans de pauvres chaumières, ne permettent ni àT’artisan,>ni‘même au riche négociant,
de sortir de l’enceinte des cités, et confinent les gens de la caste privilégiée derrière les
longues murailles de leurs casernes et de leurs forteresses. Quant aux institutions religieuses
elles étendent de tous côtés, dans les villes et sur les -campagnes, *les murs de