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jeunes gens surtout, armés des engins nécessaires pour pêcher à la ligne. Là, debout ou
accroupis, un soleil ardent sur leur tête et l’éclatante réverbération de la mer à leurs
pieds, ils restent immobiles comme les hérons et les aigrettes qui viennent charmer leur
solitude. Quand on a la patience de ne pas les perdre de vue, on s’aperçoit de temps en
temps qu’ils retirent avec prudence des poissons pris à l’hameçon : ils les glissent ensuite
dans un long sac en filet, qui pend à leur ceinture et traîne dans l’eau, où ils conservent
de la sorte leur capture vivante et fraîche pour le marché. Cependant la marée montante
ramène les barques vers les forts ; elles recueillent, en passant, les pauvres exilés et emmagasinent
leur proie dans les viviers de la cale.
D’autres embarcations, plus légères, se bornent à circuler dans l’enceinte de la baie
pendant toute la durée du reflux. Ceux qui les montent sont armés d’une longue perche
qui se termine par un fer légèremept recourbé, avec lequel ils raclent au hasard les
fonds vaseux où rampent les anguilles; ce mouvement remplace aussi le jeu de la rame
et fait cheminer lentement le bateau.
Dans certains parages peu éloignés de la côte, on distingue toute une file de grosses
barques, amarrées contre de fortes perches plantées en chevalet dans la mer; un long
bambou posé sur le chevalet fait bascule et supporte un filet taillé en c a rré , que l’on
plonge et laisse longtemps dans l’eau ; mais comme il y a une quantité de ces engins autour
des grosses barques, on en voit constamment monter ou redescendre.
Ailleurs, on submerge lentement un long filet semi-circulaire, et quand il est tendu à
la profondeur convenable, les pêcheurs, munis de planches sonores qu’ils frappent en cadence,
à coups de baguettes, font une bruyante battue pour effrayer le poisson et le chasser
dans la direction du.piège.
Mais la pêche la plus pittoresque est celle qui se fait avec cette sorte de filet que nous
appelons épervier. Deux hommes seulement montent l’embarcation : l’un est le pêcheur,
l’autre l’amorceur; celui-ci rame le plus doucement possible, s’arrête sur un geste
de son camarade, saisit une grande coquille nacrée, la plonge dans le réservoir de la barque
et la retire chargée de pâture pour les poissons, c’est-à-dire de menus coquillages
cassés de telle façon que le petit animal qu’ils contiennent en sorte à moitié. Un instant
après que cette pâture a été répandue dans la mer, le pêcheur, debout sur l’avant du bateau,
ploie et plisse avec soin un filet, dont il tient l’ouverture dans la main droite; puis,
tout à coup, du geste d’un semeur qui jette le grain dans le sillon, il lance si adroitement
ce filet, qu’il lui fait décrire un demi-cercle sur l’endroit où l’on vient d’attirer les poissons
; aussitôt il le ramène avec non moins d’adresse, et l’on ne tarde pas à voir briller dans
les mailles les gloutons argentés qui se sont laissé prendre.
Un jour nous accostâmes deux de ces bateaux. Le patron du premier fit deux coups
de filet si fructueux, que nos yakounines lui en achetèrent immédiatement le produit pour
leur table. Je crois que leur règlement de compte, en petite monnaie de fer, n ’atteignit
pas la valeur d’un tempo (quinze centimes). Lorsque, à mon tour, je m’abouchai avec le
patron du second bateau, les mêmes yakounines négocièrent en mon nom l’achat de deux
fort belles pièces, pour fie prix de deux quarts d’itzibou, valant ensemble un franc vingt