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campagnarde du Japon, nombreuse, laborieuse, intelligente, ne possède en propre qu’un
chétif abri, des instruments de travail, quelques pièces de cotonnades, des nattes, un manteau
de paille, une petite provision de thé, d’huile, de riz et de sel, pas d’autres meubles,
que deux ou trois ustensiles de ménage, en un mot, rien au delà du strict nécessaire.
Tout le reste du produit de ses sueurs appartient aux possesseurs du sol, les seigneurs
féodaux.
L’absence d’une classe moyenne donne un aspect misérable aux villages japonais.
Une civilisation libérale aurait couvert les, rives de la mer intérieure de jolies bourgades
et d’élégantes villas. Les temples seuls rompent l’uniformité des habitations campagnardes
; mais ils ne s’en distinguent de loin que par les vastes dimensions de leur toiture
et par l’effet imposant des arbres séculaires que l’on rencontre toujours dans leur
voisinage. Les pagodes bouddhistes, hautes tours au toit pointu, ornées de galeries à
chaque étage, sont beaucoup moins communes au Japon qu’en Chine.
En entrant dans le bassin de Bingo, nous aperçûmes, sur la côte de Sikoff, une ville
qui semble avoir une certaine importance : elle s’appelle Imabari. Une plage sablonneuse
d’une grande étendue, chose assez raïe au Japon, aboutit à une sorte de faubourg où il
nous parut qu’il y avait dans ce moment un marché réunissant un actif concours de
peuple. Au-dessus de la plage, des plaines fertiles, aux lignes onduleuses, se perdaient
dans la brume, au pied d’une chaîne de montagnes baignées par les rayons du soleil.
Les principales sommités de cette chaîne, le Kori-yama, le Yafatzousan, le Siro-yama,
peuvent avoir 1,000 à 1,600 mètres d’élévation.
Des fortifications, ou plutôt des levées de terre derrière lesquelles brillaient plusieurs
bannières, protégeaient des batteries rasantes, installées en avant du port. Un certain
nombre de militaires; groupés sur l'a rive, suivaient des yeux la marche de notre corvette.
La ville elle-même ne présentait rien de remarquable, que des lieux sacrés ornés d’arbres
gigantesques.
Quelque temps après, nous croisâmes, à une portée de carabiné, un gros steamer japonais.
Nos pilotes, consultés, nous dirent que, d’après les couleurs du pavillon, ce bâtiment
devait être la propriété du prince de Tosa. Celui-ci est au nombre des dix-huit « grands
daïmios » ou pairs de l’empire. Ses terres sont situées dans la partie méridionale de l’île
de Sikoff, et lui font un revenu annuel de 3,872,000 francs. Peut-être revient-il de quelque
conférence tenue par le parti féodal dans la cité de. Kioto, à la cour de 1 empereur
héréditaire du Japon : alors il se sera embarqué à Hiogo pour s’en retourner dans sa province
par le canal de Boungo. Quels sorit les sentiments qui l’animent à la vue de cette
corvette étrangère qui fend les eaux de la mer intérieure ? Se flatte—t-il de repousser un
jour la civilisation occidentale par les armes mêmes qu’elle vient de mettre à sa disposition?
Et sait-il bien où la vapeur le mènera?
Nous faisons Rémunération-des steamers de guerre que l’Europe et l’Amérique, à notre
connaissance, ont déjà fournis à là marine japonaise, et nous arrivons au chiffre de
quatorze. Le premier, la corvette le Soenibing, a été donné au Taikoun par le roi des
Pays-Bas; un autre, le yacht VEmperor, par la reine Victoria; le reste a été vendu
LA MER IN T É R IEU R E . 33
par des gouvernements ou par des maisons de commerce de l’Occident, soit au
Taïkoun, soit à quelques-uns des principaux daïmios, tels que Mito, Nagato, Satsouma
et Tosa.
Un peu avant le coucher du soleil, nous avons vu sur la côte de Sikoff un castel
seigneurial, remarquable par sa situation pittoresque sur les flancs et au sommet d’une
colline boisée, au pied de laquelle une rustique bourgade semblait s’abriter sous la protection
des vieilles tours féodales. C’est le castel de Marougamé, résidence du prince
Kiogokou-Sanoké, dont les revenus sont évalués à un million de francs.
Les châteaux de daïmios sont généralement éloignés des villes et des villages. Ils se
composent le plus souvent d’une vaste enceinte quadrangulaire de hautès et épaisses
murailles crénelées, entourées d’un fossé et flanquées aux angles ou surmontées de
distance en distance, sur toute leur étendue, de tourelles carrées au toit légèrement
ESCALIER ET ARB^E SACRÉ
recourbé. Dans l’intérieur se trouvent le parc, les jardins, la résidence proprement
dite du seigneur, comprenant un corps de logis principal et de nombreuses dépendances.
Quelquefois une tour isolée, de la même forme que les autres constructions,
s’élève au milieu du domaine féodal, et dépassé de deux ou trois étages le niveau de la
muraille d’enceinte. Comme dans les pagodes chinoises, chaque étage est entouré d’une
toiture, mais il est rare que celle-ci supporte une galerie. Tous les ouvrages en maçonnerie
sont conservés bruts et liés par du ciment ; ceux en pisé sont blanchis à la chaux;
les parties en bois sont peintes en rouge et en noir et rehaussées d’ornements en cuivre,
tantôt vernis, tantôt chargés de vert-de-gris. Les tuiles des toitures ont la couleur de
l’ardoise. En. général, on vise moins à la richesse des détails qu’à l’effet d’ensemble
résultant de la grandeur et dé l’harmonie des proportions des bâtiments. A cet. égard,