
elle allie de temps à autre les accents d’une voix tantôt caverneuse, tantôt glapissante,
selon qu’elle juge à propos d’encourager sourdement ou de célébrer avec une juste fierté
les prouesses de l’homme étonnant dont elle embellit la périlleuse existence.
L’autre troupe de saltimbanques est celle des gymnastes de Kioto. Ils se produisent
sous un vaste hangar où sont disposés des engins tels que mâts, barres et parallèles, qui
diffèrent peu des instruments de nos salles de gymnastique. Le bambou en fournit presque
complètement la matière première. La troupe est nombreuse, sure de son fait, rompue à
tous les exercices de bravoure et à toutes les gentillesses du métier. Elle n ’a pas de comique
en titre : chacun est son propre bouffon et pratique avec la plus parfaite aisance l’art de passer,
à la minute, du plaisant au sublime, et réciproquement. Ce que la représentation offre de
plus original aux yeux de l’Européen, c’est la simplicité du costume des acteurs : privés
jusqu’à ce jour de la notion du tricot, leur garde-robe, à tous ensemble, tiendrait dans
une couple de mouchoirs de poche. Leur coiffure est une burlesque contrefaçon des
bonnets de daïmios ou des toques du daïri. Ils ne la déposent ni pour travailler aux instruments,
ni même pour exécuter le tour difficile qui consiste à saisir entre deux doigts
de pied une ruche de paille abandonnée sur le sol, à l’enlever de terre de la sorte en
demeurant les bras croisés, et finalement à s’en couvrir la tête, sans perdre un instant
l’équilibre.
Le peuple de Yédo me semble médiocrement passionné pour ces représentations de
gymnastes. Elles ne lui offrent pas un intérêt assez dramatique. Il préfère les émotions
que procure le spectacle de la lutte de l’homme contre l’homme ou contre les lois du
monde matériel. Il entend que ses histrions surmontent, pour lui plaire, de graves obstacles
et de sérieux dangers. Enfin, et par-dessus tout, il leur demande de fournir
sans relâche de nouveaux aliments à son insatiable recherche du fantastique et du merveilleux.
Ce n ’est pas assez que les danseurs de corde accomplissent avec grâce et agilité les
tours de voltige les plus étonnants : il convient que la corde- soit tendue à une grande élévation,
et que le danseur l’agite, la balance, la secoue violemment en se tenant en équilibre
sur un seul pied, de telle sorte que sâ chuté paraisse imminente et menace,, à la
ronde, les têtes des spectateurs.
Iln e suffit pas que l’on voie des jongleurs non moins habiles de la. main gauche que
de la main droite ; il én faut dont la dèxtérité réside au bout des pieds : témoin ce jorigluer
japonais de l’Exposition de Paris, qui, étendu sur le dos., jouait des deux jambes avec un
grand cuvier à peu près comme un autre l’eut fait des deux mains avec un ballon en
caoutchouc.
La lutte elle-même, qui était chez les Grecs et qui est encore .chez les montagnards
suisses le plus simple, le plus noble et le plus populaire des exercices de gymnastique,
devient au Japon un vrai spectacle d’hippodrofne, une joute phénoménale, exécutée en
plein cirque par des athlètes de profession.
Il n’en est pas moins constaté que, sous cette forme étrange, les luttes athlétiques
sont au nombre des plus anciens divertissements du peuple japonais. Mais, pour ne