
pêcher de voir dans ces informés gazettes le germe d’une\ publicité périodique. J ’en ai
recueilli quelques fascicules brochés, qui traitaient de la guerre d’Amérique, du président
Lincoln, du combat du Mernmac et du Monitor : des communications de ce genre doivent
pourtant , à la longue, rendre la bourgeoisie japonaise accessible à une certaine éducation
politique.
Qui dira même.que celle-ci n ’ait pas encore commencé? Ne la voit-on pas plutôt se
développer journellement, à l’école des dramaturges et des comédiens de Yédo? Il y. a
de singulières scènes et comme une verve, plus ou moins contenue, de satire politique
et religieuse dans tous les divertissements dramatiques de cette capitale, sur les planches
de la grande Sibaia nationale, aussi bien que sur les tréteaux de la foire et jusque dans les
petits théâtres de marionnettes qui s’abritent sous le feuillage des allées de Yamasta. LeGui-
gnol japonais faitdu dieu des richesses une sorte de polichinelle. Les histrions de carrefours
introduisent d’anciens Mikados dans leurs parades fantastiques. Le costume de cour des
daimios figure parmi les danses des pantins et au milieu des mascarades les plus burlesques.
L un des types favoris du drame héroï-comique, c’est le. seigneur matamore, charge
grotesque du dynaste querelleur, vaniteux et altéré de*sang. Les yakounines et les hatta-
motos n échappent pas davantage aux plaisantes allusions et aux mordantes, saillies du
drame populaire.
Le champ de foire de Yamasta,contient, à lui seul, vingt à trente théâtres de baladins,
de jongleurs, d escamoteurs, de conteurs.de légendes et de joueurs de; farces; bourgeoises
ou de mascarades historiques. On y remarque, en outre, un ou deux;cirqué.s olympiques,
et, sur les quatre côtés de la place, à l’entrée des jardins publics ou le . long des promenades
plantées d arbres, une multitude de petits restaurants, de boutiques volantes et de
baraques consacrées aux récréations que l’on pourrait, désigner brièvement, par analogie
avec nos cafés chantants, sous le nom de thés chantants, de thés-concerts, et de thés
dansants.
Aucune des constructions de la place ne présente de caractère monumental. Les matériaux
de bâtisse dont elles se composent sont partout les mêmes : des poutres de sapin, des
tiges de bambou, des planches, des nattes et des châssis, des rideaux de soie ou de coton et
des bâches de papier imperméable. Mais sur ce fond uniforme et d’une grande simplicité
la réclame étale, de façade en façade, un luxe incroyable d’affiches, d’enseignes, de tableaux
et de bannières aux couleurs éclatantes. Les parades, de leur côté, ajoutent à tant de
séductions les charmes d’une éloquence audacieuse, infatigable, s’exerçant sur tous les
tons de toutes les gammes possibles, avec un accompagnement assorti de grosses caisses,
de tambourins, de fifres et de trompettes.
Les principaux spectacles s’annoncent de fort loin, au moyen d’une haute tour
carree, qui n est, en réalité, qu’une cage de bambou recouverte en papier huilé. Les
pièces de leur répertoire sont classées bien au-dessous des drames de la Sibaïa, au point
de vue du mérite littéraire. Je me figure toutefois que si nous en possédions quelques-
unes, des meilleures, fidèlement traduites, elles nous fourniraient de précieuses données
sur le vrai génie du peuple japonais.
Après avoir fait connaissance, en Hollande, avec le théâtre de Jüdels, auteur dramatique
et acteur de kermesses, qui transporte de ville en ville ses planches, sa troupe et sa verve
intarissable, j ’ai été agréablement surpris de retrouver au Japon quelque chose d’analogue:
des comédiens de foire travaillant selon le goùl du peuple et cherchant au sein
du peuple même la source de leurs inspirations. Chez les nations où il existe un art
privilégié, aristocratique ou conventionnel, il importe que la poésie native des classes
populaires puisse se développer à part, avec une entière indépendance, car c’est de ce
courant, d’abord ignoré et méconnu, que doit sortir tôt ou tard la rénovation des formes
surannées.