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Si cela vous fait plaisir, emportez tout le paquet avec les livres que vous avez achetés ! »
M. Metman fit entrer les coulies, leuf recommanda de n’empiler dans leurs caisses et
leurs corbeilles que la vaisselle, les paquets de livres, les dessins, les vieux cahiers, mais
d’abandonner les bouteilles et les restes du repas à la merci des yakounines et des gens de
la maison ; puis, se tournant vers le libraire : — « Croyez-vous, lui dit-il, que je doive faire
venir nos matelas et nos couvertures pour passer la nuit sous votre toit? Ce serait le
moment de donner mes ordres aux coulies. »
Une hilarité générale accueillit cette question; puis, des chuchotements et des
allées et venues se succédèrent d’un groupe à l’autre, de la boutique à la rue, où, rangés
en demi-cercle, à quelques pas des yakounines, une foule croissante de curieux s’efforcait
de deviner le drame étrange dont la paisible demeure du libraire paraissait être le
théâtre.
Enfin le patron lui-même reparut, accompagné de son employé, portant des livres
sur ses bras, comme pour attester la version de la commission au Castel; il s’inclina de
nouveau devant ses hôtes et remit respectueusement entre leurs mains, avec l’évidente
approbation des yakounines dont il était entouré, deux exemplaires parfaitement authentiques
de l’Annuaire officiel de Yédo.
Je passai la nuit à examiner le précieux envoi de M. Metman. Il se composait d’une
trentaine d’ouvrages illustrés et d’une quantité de feuilles volantes ou cousues en cahiers.
Ici c’étaient de vieilles encyclopédies, enrichies de planches qui semblaient être sorties
des officines allemandes du moyen âge ; là, des albums d’esquisses à l’encre de Chine,
reproduites sur bois, en fac-similé d’une étonnante énergie, ou des recueils de contes
et de scènes populaires, ornés de sujets à deux teintes, au moyen de procédés qui nous sont
inconnus. De nombreuses peintures sur soie et sur papier végétal représentaient les ponts,
les marchés, les théâtres, tous les lieux de rendez-yous et tous les types des classes
ouvrières et de la société bourgeoise de Yédo. Mais rien de tout cela n’égalait en importance
l’oeuvre posthume des deux pauvres artistes inconnus; car elle me révélait à la fois
les sujets de prédilection et le style de l’école moderne des peintres japonais. Quel trésor
pour l’étude du peuple de Yédo, que ces croquis inspirés par les scènes de la rue et des
jardins publics ! Quelle mine à exploiter, que ces liasses poudreuses et maculées, d’où
je sortis cent deux pièces achevées et cent trente ébauches, consacrées exclusivement aux
classes de la société qui vivent en dehors du Castel, des quartiers aristocratiques, des
casernes et des bonzeries ! Une pareille trouvaille allait me tenir lieu du guide le plus
sûr, de l’interprète le plus fidèle que j ’eusse pu consulter avant de m’engager dans le
dédale de rues, de quais et de canaux que bordent, sur les deux rives de l’Ogàwa, les
demeures agglomérées de la population bourgeoise.
La Cité proprement dite s’étend à l’Est du Castel, depuis le pont appelé Sen-bassi, qui
la relie au quartier d’Atakosta, vers le Sud, jusqu’à l’O-bassi, qui débouche du Hondjo à la
limite des quartiers du Nord.
Elle se compose des trois arrondissements ci-après, qui se suivent dans la direction
du Sud-Ouest au Nord-Est, savoir :