
Les bouddhistes se sont fait du fondateur de leur religion une image sacramentelle,
seule authentique, revêtue de caractères minutieusement énumérés en trente-deux signes
principaux et quatre-vingts marques secondaires, afin qu’elle puisse se transmettre aux
âges futurs dans touté son intégrité. L’idole japonaise répond, dans ses traits essentiels,
à celte sorte de signalement du grand réformateur indou. Elle en reproduit scrupuleusement
la pose, l’attitude méditative : c’est ainsi que le sage joignait les mains, les doigts
allongés et pouce contre pouce ; c’est ainsi qu’il se tenait accroupi, les jambes ployées
et ramenées l’une sur l’autre, le pied droit étendu sur le genou gauche. On reconnaît
pareillement son front large et uni, ainsi que sa chevelure formée d’une multitude de
boucles écourtées. Enfin on distingue jusqu’à cette singulière protubérance du crâne
qui lui déformait un peu le sommet de la tête, et même une certaine touffe de poils
blancs qu’il avait entre les sourcils, ce qu’une statue de métal ne pouvait d’ailleurs indiquer
que par une petite excroissance arrondie.
Mais tous ces signes particuliers ne constituent pas la physionomie, l’expression du
personnage.
A cet égard, le Daïboudhs de Kamakoura n’a rien de commun avec les magots que
l’on adore en Chine'' sous le nom de Bouddhas, et le fait me parait digne de remarque,
puisque c’est la Chine qui a. introduit le bouddhisme au Japon.
Malgré quelque différence de style et ce qu’elle a d’exceptionnel dans ses dimensions,
la noble statue japonaise est la soeur de celles que l’on voit en grand nombre dans les îles
de Java et de Ceylan, ces .refuges sacrés qui s’ouvrirent au bouddhisme lorsqu’il fut
expulsé dé l’Inde. C’est là que le type du héros de la contemplation se conserve le plus
religieusement et apparaît sous sa forme la plus exquise, dans de merveilleuses images
de basalte, de granit ou de grès, généralement au-dessous plutôt qu’au-dessus de la taille
humaine. Ce type, en majeure partie conventionnel, quoique parfaitement authentique
aux yeux de la foi, est spécialement pour les prêtres cingalais voués à l’art de la
statuaire le thème unique de travaux infatigables dans lesquels ils s’efforcent de réaliser
la perfection idéale. Ils ont produit, en effet, des oeuvres d’une pureté qui n ’est peut-être
surpassée que par les Vierges de Raphaël.
Le Japon a hérité quelque peu de la haute tradition des îles bouddhistes. Il fut probablement
visité par des apôtres venus de ces lointains parages. D’un autre côté, il subit
pareillement, dans une mesure plus considérable et sous l'influence de ses plus proches
voisins, toutes les fatales conséquences de la doctrine du maître lui-mème et surtout des
monstrueuses aberrations de ses disciples. Car, ainsi que le fait remarquer M. Martin
Arzelier (Chrétien évangélique, XI' année, n° 10), ce serait une tâche ingrate que d’entreprendre
de retrouver dans le bouddhisme japonais la pure et abstraite doctrine du
fondateur de la Bonne Loi. Le Protée de la fable grecque, ajoute-t-il, n ’est pas plus
insaisissable que la Bonne Loi dans ses métamorphoses parmi les peuples divers de l’Asie
et de l’extrême Orient.
Toutes les accommodations y sont justifiées d’avance par cet adage familier au bouddhisme,
qui semble avoir été le mot d’ordre de ses missionnaires :