
En poursuivant notre route de rue en rue, sur les trottoirs abrités, nos regards* à
peine interceptés par les châssis entr’ouverts des maisons bourgeoises* plongent dans les
intérieurs des ménages, et y rencontrent des groupes pittoresques d’hommes, de femmes
el d’enfants, accroupis autour de leur modeste dîner.
La nappe, faite de paille tressée* est mise sur les nattes du plancher. Au centre s’étale
une grande gamelle en bois laqué, contenant le riz, qui forme la base de l’alimentation
chez toutes lés classes de la société japonaise. La meilleure manière de le cuire consiste
à l enfermer dans un tonnelet de bois très-léger, que l’on plonge dans une chaudière d’eau
bouillante. Chaque convive attaque la provision commune, en y prenant d’abord de quoi
remplir et couronner en chapiteau une grande tasse de porcelaine, et il mange cette portion
de riz en portant la tasse à ses lèvres, sans se servir des bâtonnets qui tiennent lieu de
fourchette, si ce n ’èst à là fin, pour préparer les dernières bouchées et aussi pour ajouter
à la nourriture céréale quelque morceau de poisson, de crabe ou de volaille, choisi sur les
plateaux de laque consacrés à l’étalage des produits du règne animal.
Ces mets sont assaisonnés de sel marin, de piment et de sova, sauce très-énergique que
I on tire d uhe fève noire, en la soumettant à la fermentation. Des oeufs mollets ou durs,
trais ou conservés, des légumes bouillis, tels que navets, carottes, patates douces ; une
vinaigrette aux tranches de jeunes pousses de bambous, ou une salade d’oignons de
lotus, complètent le menu bourgeois d ’un dîner japonais.
Le thé et le saki en sont l’accompagnement obligé, et ces deux boissons se consomment
ordinairement chaudes, sans mélange d’aucun autre liquide et sans sucre. Les
théières qui les contiennent reposent sur un brasero en forme de cassette, un peu plus
grand qu’un autre meuble correspondant, le tabacco-bon, où J’on dispose le charbon, le
râtelier de pipes et les provisions de fumeurs.
Je n ’ai jamais examiné les jolis ustensiles des repas japonais : ces bols, ces coupes,
ces soucoupes, cest boîtes, ces plateaux en laque, ces vases, ces tasses, ces flacons en porcelaine,
ces théières en terre poreuse vernissée, et je n ’ai jamais contemplé les convives
à l’oeuvre, la grâce de leurs mouvements, la dextérité de leurs mains généralement si
li nés,', sans me figurer que j ’avais sous les yeux une société de grands enfants, jouant au
petit ménage, et mangeant pour s’amuser plus encore que pour satisfaire leur appétit.
Les. maladies provenant d’excès de. table ou d’un régime alimentaire malsain leur sont
généralement inconnues; mais l’usage souvent immodéré qu’ils font de leur boisson
nationale entraîne à sa suite de. graves désordres. J ’ai été moi-même témoin de plus
d’un .cas de delirium tr.emens. .
Les ravages que la dyssénterie et le choléra ont causés dans quelques parties du
Japon, surtout à .Yédô, ne surprendront pas le résident européen qui a eu l’occasion
de voir avec quelle imprudente avidité les enfants et les gens du peuple se: livrent à. la
consommation des. melons d’eau, des limons,, des pamplemousses, ■ et de toutes sortes de
fruits du commencement de L’automne,. %vant qu’ils aient atteint leur pleine maturité.
Il est d’ailleurs ! très-rare, que les maisons, japonaises possèdent de L’ëau vraiment salubre,
car les itidigènes ne connaissent que les citernes, même à Yédo, où les sources