
Si nous suivons les côtes orientales du continent asiatique, nous y rencontrons successivement
le port de Bangkok, dans le royaume de Siam, ouvert spontanément au commerce
par deux princes indigènes, amis de la civilisation européenne; puis le port.de
Saigon, dans les possessions militaires de la France en Coehinchine.
L’île de Hongkong, que les Anglais se sont acquise en 1842, a été dotée par ses
nouveaux maîtres d^un port franc qui est devenu l’un des plus grands entrepôts du
commerce et l’un des principaux sièges des missions chrétiennes de l’extrême Orient.
Non loin de là, Macao, la vieille cité portugaise, Manille, Zamboango, Iloïlo et Suai,
sur les îles Philippines appartenant à l’Espagne, languissent encore sous le régime suranné
de la protection.
Le long des côtes de la Chine, au contraire, il n’est pas moins de dix-huit ports qui se
développent rapidement à la vivifiante influence d’une entière liberté de négoce, et, dans
le nombre, figurent des places telles que Nankin et Canton, la seconde et la troisième ville
de l’Empire ; Tientsin, qui sert de port à Pékin, la grande capitale tartare, et Shanghaï,
dont le chiffre d’affaires atteint déjà la somme d’un milliard par an.
Les établissements russes au Nord de la Chine, et principalement celui de Nicolaïesk,
trahissent dans la pensée du gouvernement d’autres préoccupations que des intérêts mercantiles.
Ils inaugurent un nouveau chapitre dans l’hisloire du développement de la puissance
moscovite.
A travers l’océan Pacifique, la Russie tend la main aux États-Unis, en leur abandonnant
comme gage de bonne amitié le territoire qu’elle possédait sur le continent dont
la grande république ne se lassera pas de revendiquer l’entière annexion.
C’est dans cette direction, sur les côtes occidentales de l’Amérique du Nord, que mes
regards se portent comme à la découverte de l’avenir commercial des deux mondes.
Jetons néanmoins un rapide coup d’oeil sur les riches archipels d’Hawaï et des mers
du Sud.
Le premier ne sera jamais qu’une étape, une station maritime, mais une station qui
n’aura pas de rivale.
Chez les derniers, la liberté commerciale n ’a pas encore eu l’occasion de déployer ses
bienfaisants effets. La politique d’isolement dont la Hollande a su tirer beaucoup de profit
quant à l’exploitation de ses colonies, pourrait bien, tôt ou tard, leur devenir funeste.
La Prusse est à la recherche de colonies propres à donner une vive impulsion à sa
marine naissante. Elle peut en trouver à proximité des Indes néerlandaises. Celles-ci
ne sauraient demeurer stationnaires en présence d’un développement colonial de l’Allemagne
du Nord. Elles voient d’ailleurs grandir de jour en jour, dans leur voisinage, tout
un nouveau continent faisant partie des possessions britanniques. La prospérité de l’Australie,
avec ses belles villes européennes d’Adélaïde, de Melbourne, de Sydney, ne date
que d’une vingtaine d’années, et c’est d’hier que la Nouvelle-Zélande s’est définitivement
soumise à l’Angleterre.
11 y aura donc prochainement une sorte d’Europe britannique dans les parages méridionaux
du Grand Océan. Elle réagira sur l’Amérique espagnole jusqu’à l’isthme de Panama.
Tout ce qui est au-dessus gravitera dans l’orbite de la reine du Pacifique. San-Fran-
cisco, qui n’existait pour ainsi dire que de nom,, en 18.48, rayonne déjà sur le Mexique
et surda Colombie anglaise, sur la Chine et sur le Japon.
Cette cité prodigieuse va devenir le noeud du réseau électrique des deux mondes.
Elle pourra correspondre avec l’Europe, soit par le télégraphe de l’Union américaine et
par le câble transatlantique, soit par la ligne dè la Colombie, des Kouriles et de la
Sibérie.
Depuis l’achèvement du chemin de fer du Pacifique, la malle d’Europe à destination
de la Chine prendra nécessairement le chemin de New-York et de San-Francisco. Encore
quelques années, et le centre du monde, commercial sera déplacé. New-York aura
supplanté Londres.
Le génie britannique est provoqué de toutes parts aux efforts les plus gigantesques.
Le percement de l’isthme de Suez, les progrès de la Russie dans, la haute Asie, le détournement
des affaires de la Chine par la ligne de l’Amérique, obligeront, de son côté,
l’Angleterre à rejoindre par voie ferrée son réseau des chemins de fer de L’Inde, et à le
prolonger dans la direction d’Awa pour atteindre, aussi sur rails, le marché delà, Chine.
Heureuse concurrence, noble rivalité des peuples anglo-saxons, qui, les forçant de
multiplier les points d’attaque contre le colossal empire de la Chine, finira, si j ’ose employer
cette image, par le soulever de sa base et lui assigner sa place dans le monde de
l’avenir.
Ce nouveau -monde, qui se prépare loin de notre vieille Europe, sera de toutes les
oeuvres du siècle la plus fructueuse, la plus riche en conséquences inattendues et incalculables.
Les peuples de l’Angleterre, de l’Amérique et de l’Allemagne du Nord paraissent en
devoir être les principaux artisans.
La France sefait, de nature, admirablement douée pour compléter cette alliance et
notamment pour apporter de précieux éléments de succès dans les relations des Occidentaux
avec les races de l’extrême Orient. Elle en a le sentiment, et même elle a déjà
donné par de vastes entreprises un noble essor à ses aspirations. Il suffit de rappeler
l’extension des services maritimes des Messageries Impériales aux lignes de l’Indo-Chine
et du Japon, et la création des agences du Comptoir d’escompte sur les places les plus
importantes de ces lointains parages.
Ce qu’il lui reste à faire pour prendre, dans l’immense transformation commerciale
qui s’opère, la place qu’elle devrait y occuper, c’est de séculariser à la fois sa politique
extérieure et son système d’éducation publique.
Les nations protestantes ont l’avantage d’avoir les coudées franches dans tout ce
qu’elles entreprennent; leurs écolès sont organiséés de manière à former des hommes
d’initiative individuelle, et à leur donner les connaissances usuelles de langues et de
sciences modernes dont ils auront besoin dans leur carrière active ; enfin on n’y confie
aux ministres de la religion que l’enseignement religieux, exclusivement.
En présence de cet état de choses, le simple bon sens démontre que la France elle