
ce qu’il ait les, deux pieds en l’air, et il reste immobile dans cette position. Les exercices,
avec une perche à la place du nez, paraissent si fabuleux, qu’ils doivent-recéler quelque
supercherie, telle qu’un point d’appui quelconque, dissimulé par une décoration de théâtre.
La troupe qui exécute ces prouesses est sous l’invocation du divin Tengou, et parée de
ses principaux attributs, c’est-à-dire, outre le long nez, une grande paire d’ailes, un sabre
et un costume de héraut.
Une autre corporation, infiniment plus intéressante, est celle des jongleurs prestidigitateurs.
Leurs troupes les plus savantes se produisent principalement à la foire de
Yamasta et dans les dépendances du grand temple de Quannon d’Asaksa. Elles font aussi
des voyages en province. M. de Polsbroek en invita une à Benten pour y donner une
représentation aux notabilités de l’Occident qui se trouvaient alors en résidence à Yokohama.
Ma chambre de travail étant à côté du salon, que nous avions converti en théâtre, et les
deux pièces ouvrant sur la véranda, dont les jongleurs firent leur vestiaire et leur place de
répétition, j ’eus le plaisir d’assister à tous les préparatifs de leur soirée. Ils étaient au nombre
de six, accompagnés de quatre musiciens et de plusieurs domestiques. Leur mobilier
comprenait, entre autres, de hauts trépieds, divers dressoirs et d’élégantes tables basses en
beau laque rouge, ainsi que de grands vases en porcelaine, des chimères en cuivre jaune
et des caisses et des boîtes 4e toute grandeur, en laque noir et en bois blanc, à double fond,
à tiroirs ou à secret. Ils en sortirent des chandeliers, des bougies, une petite lanterne
magique, des tasses de porcelaine remplaçant les gobelets de nos escamoteurs, des poupées
inversables, des marionnettes, des écharpes, des rubans, des turbans, des lacets, du
papier, des pipes, des sabres, des éventails, et tout un assortiment de toupies, depuis les
dimensions d’une assiette à soupe jusqu’à celles d’une coquille de noix.
L’orchestre se composait d’un samsin, d’un fifre, d’une paire de cliquettes en bois, d’un
tambourin et d’une grosse caisse. Il faut dire qu’il n’avait pas d’autre ambition que d’assourdir
le tympan et de distraire, à point nommé, ,1’attention des spectateurs, comme aussi de la
provoquer, dans certaines occasions solennelles, particulièrement pour annoncer que l’un
des chefs de la troupe allait ouvrir une nouvelle série d’exercices par un discours approprié
à l’importance du sujet.
Admettant que les tours de passe-pïLsse de l’Europe valent bien ceux de l’extrême
Orient, je laisse de côté ce détail de la représentation. Quant à celle-ci, prise dans son
ensemble, je ne puis mieux en définir le caractère qu’en donnant à ce genre de spectacle
la qualification de charmante mystification. 11 est difficile, en effet, de se jouer plus
agréablement de la crédulité du peuple et de sa propension au merveilleux, que ne le
font les jongleurs de Yédo. A l’exception des tours d’adresse et d’escamotage, dans lesquels
ils déploient une dextérité étonnante, tout le reste n’est au fond et d’un bout à l’autre, en paroles
et en actions, qu’une sorte de persiflage ou de moqueuse négation du prodigieux, opérée
au moyen de prestiges de leur invention, admirables de simplicité, sublimes de niaiserie:
Que l’on ajoute à cela les mérites d’une troupe consommée dans l’exercice de son art;
une ingénieuse mise en scène, un gôut exquis, ou plutôt un esprit d’à-propos parfait, dans
le costume, les décors, les draperies, l’arrangement des machines et du mobilier; un