
INTRODUCTION
Pendant la mission politique que j ’ai remplie au Japon, et dont il ne sera d’ailleurs
pas question dans cet ouvrage, j’avais un attaché avec lequel j ’aimais à passer les journées
de loisir que la lenteur des négociations nous procurait en abondance.
Ensemble nous avons étudié le pays et le peuple, visité lés villes et parcouru en
toute saison les campagnes de la baie de Yédo. Munis de nos. crayons et d u n léger
calepiiSnous ayons pris note de nos observations à mesure que l’occasion s’en présentait,
tantôt assis au pied des cèdres séculaires, tantôt accroupis au seuil d’une rustique,
auberge, et parfois même, il faut le dire, retranchés dans l’arrière-boutique de bons
bourgeois indigènes quelque peu complices de nos indiscrètes perquisitions.
L’état social du Japon offre de singulières anomalies, parmi lesquelles il en est une
qui est bien faite pour stimuler l’esprit d’investigation. D un coté, le gouvernement s entoure
d’un profond mystère ; de l’autre, il laisse à l’art national une grande liberté d’allure.
Il en résulte que le pinceau des artistes du pays supplée jusqu’à un certain point
au mutisme des agents de l’autorité. Le visiteur étranger fera donc bien de ne pas aller
aux informations auprès d’un fonctionnaire public, car il n’en obtiendrait que .des réponses
évasives ; mais qu’il prenne la peine d’entrer dans une librairie quelconque, il y
trouvera, sous la forme de gravures, d’esquisses à l’encre de Chine ou:d’estampes coloriées,
à peu près tous les renseignements dont il peut avoir besoin.
Ainsi, lorsque au premier abord la police japonaise semble s’être conjurée pour en-,
lever tout aliment à la curiosité occidentale, on finit par découvrir avec une agréable surprise
que les énigmes du Sphinx de l’extreme Orient sont de longue daté illustrées et
conséquemment interprétées dans un langage accessible à tout le monde. Ceci ne suffit
pas sans doute pour en donner la complète intelligence. Nul ne peut dirè qu’il connaisse
un peuple à fond, s’il n’en possède l’idiome et la littérature : or, pour faire entrer la littérature
japonaise dans l’inventaire du monde civilisé, il faut encore le travail de plus
d’une génération.