
On nous improvisa un dortoir au rez-de-chaussée en faisant usagé des châssis de
deux grandes pièces, pour subdiviser celles-ci et y créer une quantité convenable ¡de
places réservées. Je dis places réservées, plutôt que fermées; car de simples parois de
papier collé ne sauraient manquer d’être quelque peu trouées par-ci par-là : aussi, quand
je fus étendu sur les nattes, la tète reposant sur un coussin de voyage, eus-je l’occasion
de remarquer qu’il n était pas rare de voir briller un o?il à la place où il manquait un
morceau de papier.
Je m’endormis néanmoins, mais ce ne fut pas pour longtemps. Il paraît que les nattes
des cabanes japonaises servent de repaire à des hordes de ces parasites que ToepiFer a désignes
sous le nom de kangourous domestiques. Mes camarades firent la même observation.
Nous nous trouvâmes bientôt tous réunis sur là galerie supérieure, notre quartier
général.
I ne promenade entreprise à la recherche des curiosités de kanasawa, que nous n’avions
pas visitées le matin, tut abrégée par la pluie, qui survint au moment où nous sortions
d’une bonzerie connue par ses bosquets de bambous. De retour à l'auberge* nous
agitâmes la question du départ ; mais les bateliers déclarèrent que le vent nous empêcherait
de sortir de la baie. On fit jouer la boîte à musique du constable ; on but du thé ; je
me mis à dessiner le portail d’un temple voisin. Sur ces entrefaites, ï’hôtesse, avec sa
suite, entra, apportant un paquet d’estampes japonaises à vendre : c’étaient des vues de
Kànasawa et de Kamakoura, des divinités nationales, et des images que je m’abstiens de
qualifier.' Elle étala le tout, pêle-mêle, sur la table, sans y mettre la moindre gêné ni
aucune précaution. L’un de nous, encore peu familiarisé avec les moeurs du pays* ne
put s’empêcher de faire à la bonne dame quelques observations ; mais elle s’empressa
de le rassurer, en certifiant que sa maison était, officiellement, de celles qu’aucun soupçon
ne saurait atteindre.
Son mari vint nous offrir du poisson. Nous descendîmes avec lui au vivier, savant
labyrinthe en pierres de taille, mis en communication avec la mer, et néanmoins parfaitement
à l’abri de l’agitation des vagues. Nous fîmes notre choix pour le dîner, qui fut
le triomphe de l’ichthvophagie : soupe au poisson, poisson bouilli, poisson frit, et même
fines franches de poisson cru, noyées dans le sova, et servies en hors-d’oeuvre, comme
les anchois.
Au dessert, je demandai si quelqu’un, dans l’hôtellerie, savait jouer du samsin. L’hôtesse
me rappela que l’étude, du sàmsiii est une partie intégrante de l’éducation féminine au
Japon; mais je vais, ajouta-t-elle, vous faire entendre une personne qui enseigne cet instrument.
Elle nous amena* en effet, une voisine d’un certain âge, professeur émérite des
maisons de thé de la capitale, qui, sur notre invitation, prit place à notre table avec toutes
les formes de la plus exquise politesse. La boîte à musiquè* du constable la transporta
d’admiration, et, chose remarquable, tandis qu’il nou%est très-difficile de saisir les mélodies
japonaises, l’habile artiste non-seulement sut mettre sa guitare au ton de nos airs
européens et les accompagner, mais elle parvint même à en reproduire un ou deux avec
assez d’exactitude.
Nous nous retirâmes de bonne heure dans nos compartiments nocturnes. Le mien
était muni d’une moustiquaire japonaise, sorte de tente en grosse serge dé soie verte,
que l’on suspend au plafond par des attaches. J’y dormis assez bien, malgré l’air étouffé
que l’on y respirait. Mais l’hôtesse n’avait pu fournir dès moustiquaires à toüté la compagnie.
Aussi ne fallait-il pas s’étonner d’entendre encore retentir dans une chambré
BONZERIE ET BOSQUETS DE BAMBOUS.
voisine, aux premières lueurs du matin, le bruit des verres, les sons de quelques voix
enrouées, et les notes métalliques? de l’inévitable ritournelle : « Ah ! quel plaisir d’ètre
soldat ! »
Évidemment, les circonstances étaient peu favorables à l’exécution de notre plan de
campagne. C’est en vain que les plus alertes de la société tentèrent de démontrer que
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