
encore une idée qui représente à l’ascète le néant même où il se plonge, il faut un dernier
et suprême effort, et l’on entre dans la quatrième région du monde sans formes, où il
n’y a plus ni idées, ni même une idée de l’absence d’idées.
Tels sont les mystiques exercices de la contemplation bouddhiste, et Boddhi-Dharma
en fut le promoteur au Japon.
Les autres apôtres, ses successeurs, marchèrent sur les traces du Bouddha de la
même manière, c’est-à-dire en substituant, chacun dans son genre, les pratiques extérieures
à la spontanéité de la piété et à l’activité de l’intelligence.
Le maître avait dit à ses disciples : « Allez, hommes pieux, cachant vos bonnes
(«uvres et montrant ybs péchés ! » Les bonzes instituèrent des processions de pénitents.
La çiansuétude/était l’un des traits dominants du caractère de Sâkyamouni. Sa pitié
s’étendait à tous lés êtres de la création.
(juand sa doctrine se répandit parmi les Japonais, ceux-ci se faisaient déjà une loi de
ne manger de la chair d’aucun animal domestique : cet usage avait, entre autres effets
économiques, l’avantage de prévenir le renchérissement du buffle, qui, dans les pays de
rizières, est absolument indispensable aux plus pauvres cultivateurs. Bientôt certaines
sectes bouddhistes allèrent jusqu’à proscrire toute autre nourriture que les aliments tirés
du règne végétal.
Sâkyamouni recommandait de s’abstenir non-seulement du mensonge et des propos
nuisibles, mais encore de toute parole oiseuse. Le silence fut mis au nombre des voeux
monastiques.
De même l’abnégation, la pureté des moeurs, la patience, la persévérance, se traduisirent
en ordonnances réglant, dans les plus minutieux détails, le costume, la nourriture,
l'emploi des heures du jour et de la miit, des diverses communautés de conventuels.
Parce que le Bouddha s’était montré infatigable à solliciter la commisération des riches
en faveur de toutes les infortunes, on organisa des confréries de moines mendiants.
Parce qu’il avait déclaré qu’on le trouverait non moins bien disposé envers les hommes
méprisés de la société qu’envers ceux que Ton respecte, et qu’il exposerait la loi aux ignorants
comme aux savants^-on fit de l’ignorance une vertu cardinale.
Tandis que chez le réformateur indou la connaissance s’alliait à la foi, cette dernière
vertu, au jugement des bonzes, dispensa de toutes les autres : « A l’exception de la secte
Sen-sjou, » écrit un auteur japonais, « nos bonzes tendent à maintenir le peuple et surtout
le campagnard dans une profonde ignorance. Ils disent que la foi aveugle suffit pour
conduire à la perfection. »
Le grand prêtre Foudaïsi, qui vint de la Chine avec ses deux fils, Fousjoo et Fouken,
inventa un procédé mécanique propre à dispenser les bonzes de faire tourner la roue de
la loi selon le sens consacré dans le langage mystique du bouddhisme, tout en leur permettant
d’accomplir à la lettre cette opération. Il construisit le rinzôo, sorte de lutrin
mobile tournant sur un pivot, et y déploya les rouleaux des livres sacrés. Ses adeptes
recevaient de sa part, d’après le degré de leur dévotion, l’autorisation de faire faire au
rinzoo un quart de tour, un demi-tour, trois quarts de-tour ; Ton obtenait très-rarement
la faveur du tour entier, car c’était un acte aussi méritoire que si Ton eût récité d’un bout
’ à l’autre tous les livres de la loi.
Les bonzes Sinran, Nitziten et une trentaine d’autres se sont fait un nom comme
fondateurs de sectes, dont chacune se distingue par quelque particularité plus ou moins
digne de rivaliser avec l’ingénieuse invention de Foudaïsi.
C’est ainsi que certaine confrérie a le monopole de l’exploitation du grand chapelet de
famille. Il faut savoir que le chapelet bouddhiste ne peut déployer sa vertu que si on le
défile correctement; or rien ne garantit que, dans une famille nombreuse, il ne se commette
des erreurs dans l’usage du rosaire : de là l’inefficacité qu’on lui reproche quelquefois.
Au lieu de récriminer en cas pareil, le parti le plus sage consiste à faire venir
à domicile un bonze du grand chapelet, pour remettre les choses en bon point. 11
s’empresse d’accourir avec son instrument, qui offre à peu près les dimensions d’un
honnête serpent boa ; il le dépose entre les mains de la famille agenouillée et rangée en
cercle, tandis que lui, placé devant l’autel de l’idole domestique, dirige l’opération au
moyen d’un timbre et d’un petit marteau. Au signal donné, le père, la mère, les enfants
entonnent de tous leurs poumons les prières convenues. Les petits grains, les gros
grains, les coups de marteau se succèdent avec une régularité cadencée, entraînante.
La ronde du chapelet s’anime, les cris deviennent passionnés, les bras et les mains
obéissent avec la précision .d’une machine, la sueur ruisselle, les corps s’engourdissent
de fatigue. Enfin la cérémonie terminée laisse tout le monde haletant,, .épuisé, mais
rayonnant de bonheur, car les dieux intercesseurs doivent être satisfaits !
Le bouddhisme est une religion flexible, conciliante, insinuante, slrccommodant
au génie et aux usages des peuples les plus divers. Dès leur début au Japon, les bonzes
surent se faire confier .des châsses et même de petites chapelles de Kamis pour les garder