
les puissances étrangères; Cette base posée, les uns étudient, en outre, l’anglais ; d’autres
le rusaè ; d’autres le français, le portugais, l’allemand, le danois, et il faut encore ajouter
l’italien, depuis que l’Italie aussi a conclu, sous le patronage de la France, un traité avec
le Japon, et tout récemment encore l’espagnol, car l’Espagne vient d’être admise àu
bénéfice des traités. Ainsi, chacune des langues parlées par les nations contractantes est
représentée à Yédo, selon l’importance qu’on lui attribue, par un groupe plus ou moins
considérable d’interprètes indigènes.
Ces fonctionnaires sont complètement à la disposition du gouvernement et classés dans
un ordre hiérarchique qui détermine la nature et la valeur du mandat qu’on leur confie.
Moriyama Yénoské, qui a tant excité la verve railleuse d’Oliphant, était autrefois l’interprète
obligé de toutes les négociations relatives à la conclusion ou à la révision des
conventions internationales. Lorsque, à mon tour, je fis sa connaissance, il me parut
évident qu’il était monté en grade. Il venait de remplir à Paris une mission de confiance
du Gorogio auprès de l'ambassade japonaise qui visita l’Europe en 1863. Je ne le vis
figurer que dans deux occasions solennelles et moins comme interprète que comme confident
des gouverneurs des affaires étrangères auxquels il était adjoint. On m’assura qu’il
pourrait bien un jour devenir leur collègue.
D’autres interprètes, arrivés pareillement au sommet de l’échelle, ont le mandat
spécial de lire et d’annoter, à l’usage du Gorogio, les journaux que la cour du Taïkoun
reçoit directement d’Europe, ainsi que les nouveautés scientifiques ou littéraires qu’elle
tient de la bienveillance des Légations.
Toutes ces publications sont soigneusement conservées dans la bibliothèque impériale.
On en tire peu à peu la matière d’ouvrages plus ou moins étendus, composés en japonais
pour les classes d’officiers civils ou militaires qu’ils peuvent intéresser, et même pour le
public en général. G’est ainsi que l’on possède des fragments du Cosmos de Humboldt, un
abrégé de la Macrobiotique d’Hufeland, une traduction de l’Atlas de Stieleret du Traité
de Maury sur les courants maritimes.
Un gouverneur japonais demandait un jour à M. von Brandt, attaché à l’ambassade
du comte Eulenbourg, s’il était le fils du général von Brandt, auteur d’un excellent manuel
de tactique. Sur la réponse affirmative de l’attaché prussien, le gouverneur lui fit hommage,
le lendemain, d’un volume imprimé déjà depuis quelques années, qui renfermait
la traduction japonaise de ce manuel.
Pendant toute la durée dé la guerre civile des États-Unis, on publiait à Yédo, à
intervalles irréguliers, une relation des derniers: événements, accompagnée de gravures
sur bois, exécutées d’après les illustrations des feuilles américaines.
Outre les coihpilations et les traductions faites dans l’idiome national, il n’est pas rare
de voir, entre les mains des Japonais, certains ouvrages écrits et imprimés en langue
hollandaise, spécialement les manuels d’après lesquels les officiers néerlandais font leur
théorie militaire.
M. le capitaine de vaisseau Lecuriault du Quilio, commandant de la Sémiramis, s’étant
emparé d’une redoute du prince de Nagato, à l’entrée du détroit de Simonoséki, trouva
dans la place un livre hollandais ouvert, abandonné à côté d’une pièce démontée læ,’était
un traité de tir au canon, que le commandant de la batterie avait évidemment consulté
pour diriger son feu sur les navires qui s’engageaient dans le détroit.
Une école d’ingénieurs se rattache au Conservatoire des arts et métiers de Yédo. La
plupart des professeurs de cette institution scientifique sont d’anciens élèves des officiers
de marine hollandais que le roi des Pays-Bas, sur la demande du Taïkoun, a envoyés au
Japon en deux détachements successifs. Le second était commandé par le capitaine de
frégate H. de Kattendijke, qui, à son retour à la Haye, est devenu ministre de la marine.
C’est sous ses ordres que l’ingénieur Ilardes a construit l’atelier de machines d’Akanoura,
près de Nagasaki, le premier établissement de ce genre qui ait été fondé au Japon ; et
c’est la petite école navale instituée à la même époque (1857) à Nagasaki, qui a mis les
officiers de mariné japonais en état de conduire eux-mêmes, sans secours étranger, des
bâtiments de guerre mus par la force de la vapeur.
Mais, s’il est une justice à rendre à l’ancienne institutrice des Taïkouns, c’est de
reconnaître à quel point d’indépendance elle a su amener ses élèves. A l’avénement du
Stotsbashi au trône taïkounal, le Japon paraissait appelé à. marcher à pas de géant dans la
voie du progrès, et à réaliser, avec l’aide, de la France, ùriè entreprise d’une portée
incalculable, la création d’une flotte en rapport avec la dignité et les ressources de l’Empire.
Des ingénieurs français dirigeaient la construction de l’arsenal et des chantiers du port
militaire de Yokoska, à quelques milles au Sud de Yokohama. L’entrefien de cette flotte
de guerre allait exiger la création d’une marine marchande. L’avenir de la civilisation
du Japon semblait assuré, lorsque la révolution du parti féodal vint renverser tout l’édifice
politique de Gonghensama.
Il peut donc arriver que le Taikounat, l’agent sur lequel on comptait pour opérer la
transformation sociale du Japon, disparaisse .de la scène de l’histoire; et il* n’est pas
impossible non plus que son oeuvre soit reprise par le nouveau pouvoir pour s’accomplir
sur une plus vaste échelle, embrassant non-seulement les domaines du prince de Kwanto,
mais toutes les principales places maritimes qui appartiennent aux grands daïmios.