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sabres de samouraïs. Un vieil artisan, tout nu, accroupi sur une natte, tirait le soufflet
de la forge avec l’orteil du pied gauche, et martelait en même temps de la main droite,
sur une enclume, la barre de fer qu’il tenait de la main gauche. Son .fils, également
accroupi et nu, mettait les barres au feu avec une pince et les passait à son père quand
elles étaient rougies.
Cependant le chef de l’escorte nous fit reprendre notre marche. Peu à peu
la route que nous suivions devint déserte. Nous entrâmes dans la vaste solitude d’une
agglomération de résidences seigneuriales.
A notre droite s’étendaient les magnifiques ombrages d’un parc du prince de Sat-
souma ; à notre gauche, le mur d’enceinte d’un palais du prince d’Arima. Quand nous
en eûmes tourné l’angle Nord-Est, nous nous trouvâmes devant la façade principale
du bâtiment : elle se développe parallèlement à une plantation d’a rb re s, baignée
par les eaux d’une limpide rivière qui sépare le quartier de Takanawa de celui
d’Atakosta.
Comme Béato se mettait à l’oeuvre pour faire une photographie de ce paisible tableau,
deux officiers du prince, accourant auprès de lui, l’engagèrent à ne pas continuer son
opération. M. Metman les pria de bien vouloir préalablement prendre les ordres de
leur maître. Les officiers s’exécutèrent et revinrent au bout de quelques minutes :
« Le prince, s’écriaient-ils d’un commun accord, ne permet absolument pas que l’on
prenne une vue quelconque de son palais ! » Béato s’inclina respectueusement et
ordonna aux coskeis d’enlever la machine ; et les officiers se retirèrent satisfaits, sans
se douter que l’opérateur avait eu tout le temps de tirer deux clichés pendant leur
absence.
Les yakounines de l’escorte, témoins impassibles de cette scène, furent unanimes à
applaudir au succès de la ruse de M. Metman. Mais quand celui-ci annonça l’intention
de prendre aussi, dans le voisinage, la photographie du cimetière des Tâïkouns, ce fut à
leur tour de lui opposer une résistance que rien ne put ni déjouer ni fléchir.
Il nous fallut même renoncer à pénétrer dans l’enceinte tumulaire. Nous en apercevions
très-distinctement la haute pagode rouge et les sombres bosquets de cyprès, à
l’arrière-plan de l’un de ces frais paysages aux arbres majestueux, aux vertes pelouses,
aux belles eaux courantes, dont la ville de Yédo abonde.
Tout ce que nous pûmes obtenir, ce fut de côtoyer la partie occidentale du massif de
Siba : c’est le nom que l’on donne au lieu sacré, et qui se reproduit dans le titre complet
de notre arrondissement (Siba-Takanawa).
Nous passons la rivière sur un pont cintré, non loin de l’endroit où s’est commis
l’assassinat de Heusken, et, laissant à notre gauche quelques maisons d’Akabané que
l’incendie a épargnées, nous traversons une place bordée d’un côté par un matoban, ou
jardin de tir à l’arc, et de l’autre par des murs derrière lesquels s’élèvent les plantations
d’arbres et les toitures du Soïosti, groupe de temples relevant de la grande bonzerie qui
a la gloire de recevoir les Tâïkouns dans leur dernière demeure. Ils y reposent sous
la protection combinée des deux religions de l’empire. Le bouddhisme,, il est vrai, exerce