
« votre vie terrestre, comme là contemplation, la jouissance anticipée, pourvu que vous
« suiviez religieusement mes recommandations. »
« A ces mots, élevant de la main droite le disque d’argent poli qui tant de fois avait
rèflété la pure image de sa divine compagne depuis qu’elle était descendue sur la terre,
il fit agenouiller ses enfants et poursuivit d’un ton solennel :
« Je vous laisse ce précieux souvenir. Il vous rappellera les traits bienheureux de
« votre mère. Mais, en même temps, vous y contemplerez votre propre image. Ce sera
« pour vous, il est vrai, l’occasion de comparaisons humiliantes. Toutefois, ne vous ar-
« rêtez pas à faire un douloureux retour sur vous-mêmes. Efforcez-vous de vous as-
« similer la divine expression du modèle adorable que désormais vous ne pourrez plus
« chercher qu’au ciel. .
« Chaque matin, vos ablutions accomplies, vous vous mettrez à genoux, en face de
« ce miroir. 11 vous signalera les rides que tel ou tel souci terrestre pourrait graver sur
« votre front, ou le désordre qu’une passion funeste jetterait parmi les traits de votre
« physionomie. Effacez ces empreintes du mal, revenez à l’harmonie, à la sérénité; et
« alors adressez-nous votre prière, en toute simplicité et sans hypocrisie, car soyez bien
« persuadés que les dieux lisent dans votre âme comme vous lisez dans vos yeux quand
« vous regardez ce miroir.
« Que si, dans la journée, vous sentez en vos coeurs quelques mouvements tumul-
« tueux, d’impatience, d’envie, de cupidité, de colère, dont vous ne puissiez spontané-
« ment réprimer les premières atteintes, accourez au sanctuaire de votre invocation
« matinale; venez-y renouveler vos ablutions, vos aqtes de recueillement et vos prières.
« Enfin, que chaque soir, avant de vous livrer au repos, votre dernière pensée soif
« encore un retour sur vous-mêmes, et une nouvelle aspiration à la félicité de ce monde
« supérieur où nous vous précédons ! »
Ici s’arrête la légende ; mais la tradition ajoute que les enfants d’Izanaghi consacrèrent
par un monument de leur piété filiale l’endroit où ils avaient reçu les adieux de
leurs divins parents. Ils y élevèrent un autel de bois de cèdre, sans autres ornements
que le miroir d’Izanami et deux vases formés de deux tronçons de bambou, supportant
l’un et l’autre un bouquet des fleurs qu’elle aimait. Une simple cabane de forme carrée,
recouverte d’une toiture de jonc, protégeait le rustique autel. On la fermait au moyen de
deux châssis à côülisse, mais seulement quand le mauvais temps rendait cette précaution
nécessaire. C’est là que, matin et soir, les enfants d’Izanaghi célébraient le culte que leur
avait enseigné leur père.
Ils régnèrent sur la terre, de génération en génération, durant une période de deux à
trois millions d’années, et devinrent, à leur tour, des esprits bienheureux, des Kamis immortels,
dignes des honneurs divins.
La science, confirmant lés données de la tradition, constate qu’à l’époque où s’ouvre
l’ère historique du Japon, six siècles environ avant Jésus-Christ, il existait déjà dans
ce pays une religion qui lui était propre, qui n’a jamais été introduite ni pratiquée
ailleurs, comme le fait observer Kæmpfer, et qui s?est conservés jusqu’à nos jours,
quoique sous une forme altérée et dans un état d’infériorité à l’égard d’autres sectes
d’une origine postérieure. C’est le culte des Kamis, lequel a reçu plus tard divers noms
empruntés à la langue chinoise, et que, pour cette raison, je passe sous silence. On ne
doit point l’envisager comme le culte des esprits des ancêtres en général, ni des ancêtres
de telle ou telle famille en particulier. Les esprits vénérés sous le titre de Kamis appartiennent,
il est vrai, à la légende mythologique ou héroïque, dont la gloire rejaillit sur
certaines familles encore existantes; mais ils sont, avant tout, des génies nationaux,
protecteurs du Japon et du peuple qui l’habite.
Au surplus, quels pouvaient être les Kamis primitifs, sinon ces personnages fabu-
buleux de la cosmogonie nationale, tels que : Kouni-Toko-Tatsi no Mikoto, le plus
ancien des dieux purement spirituels; ou bien Izanaghi et Izanami, le divin couple
créateur de l’empire des huit grandes îles; ou encore leur fille aînée, que l’on révère
comme la déesse du soleil sous le nom populaire de Ten-sjoo-daï-zin?