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LE NOUVEL AN, A YÉDO. 331
posant d’un gâteau de riz, d’une orange et d’une langouste : hommage naïf en l’honneur
du meilleur légume, du meilleur fruit et du meilleur poisson *.
Cette décoration uniforme des palais de Yédo porte un cachet de noble simplicité qui
sied bien à leur architecture. Cependant le quartier des daïmios, pris dans son ensemble,
est moins attrayant que jamais à l’époque des fêtes du nouvel an. On se hâte de fuir
cette enceinte de casernes, de prisons et de forteresses, ce monde conventionnel, régi
par l’étiquette et la duplicité, ce foyer de haines implacables et de sinistres complots,
pour se retrouver parmi le peuple, en contact avec les manifestations de son intarissable^
jeunesse.
Quel contraste que celui des rues de la Cité, comparées au Castel et à son entourage !
Elles s’annoncent de loin par une joyeuse clameur, à laquelle répondent confusément
des sons de harpe éolienne. Cette musique mystérieuse, c’est le concert des cerfs-volants
de papier. Tout le ciel de la ville bourgeoise en est constellé. Les uns représentent des
bonshommes grotesques ornés d’ailes dé papillons ; les autres, des grues, des perroquets,
des éperviers ; d’autres enfin, des animaux de la mythologie et des tetes de guerriers ou
de belles dames de§ temps héroïques. Une fine lamelle de bambou, tendue à travers le
cadre légèrement bombé de l’image, lui donne dans son vol un sifflement mélodieux.
Parfois la guerre éclate entre les fantoches aériens. Les ficelles, munies de fins morceaux
de verre, se poursuivent et s’attaquent jusqu’à ce que le duel engagé amène la chute des
deux cerfs-volants, ou que Tune des ficelles, tranchée par l’adversaire, s’affaisse sur le
sol, abandonnant aux nuages le cadre qui lui était confié. Comme ces joutes au ceri-
volant s’engagent volontiers entre gens à marier, toute la population de la rue prend un
vif intérêt au spectacle, et redouble galamment d’acclamations, lorsque la victoire s’est
déclarée en faveur du beau sexe.
Au reste, de quelque côté que Ton regarde, ce sont les jeux d’enfants qui tiennent le
haut du pavé. Le cerceau, les échasses, la toupie, passent tour à tour entre les mains des
petits garçons, de leurs frères aînés et de leurs pères. Il y a des toupies de diverses sortes ;
celles qui se prêtent aux évolutions les plus capricieuses et les plus prolongées sont de
forme cylindrique, creuses et munies d’un lest intérieur qui leur assure l’équilibre. Le
jeu du volant envahit les groupes de jeunes femmes aussi bien que les sociétés de jeunes
filles. Les raquettes sont, comme les éventails, l’un des principaux articles d’étrennes.
On les fait en bois blanc, sous forme de palette, avec un côté lisse décoré au pinceau et
l’autre côté garni d’une petite image en étoffe. Lés boutiquiers de Yédo offrent à leurs
pratiques, au choix de celles-ci, l’étrenne d’un éventail, ou d’une paire de raquettes, ou
d’une tasse de porcelaine. Les acheteurs se portent principalement chez les marchands
de sucreries, de pâtisseries et de jouets d’enfants, s’ils ne préfèrent se pourvoir auprès des
marchands ambulants, qui parcourent les rues en criant les mêmes objets.
11 en.est qui chantent et qui dansent pour mieux faire apprécier le mérite de leurs
pantins. D’autres vendent des oiseaux en papier mâché, se balançant à des branches dé
saule pleureur, et des poissons artificiels attachés à une petite ligne de roseau : à la
1 M. Layrle, « Le Japon en 1867. » (Revue des Deux Mondes.)