
Cependant le voisin ne réussit pas à en faire sortir de l’or, et, dans sa rage, il brûla
le mortier.
Le vieillard le supplia de lui en rendre au moins les cendres, ce qu’ayant obtenu, il
les emporta religieusement à son domicile.
Or, le soir même, il vit en songe son chien lui apparaître, et il en reçut le singulier
conseil de se rendre le lendemain avec les cendres de son mortier au bord de la grande
route, et, quand il verrait sîavancer un cortège de daïmio, de ne point s’agenouiller, mais
de répondre aux sommations des officiers qu’il était un magicien ayant le pouvoir de faire
produire des fleurs à des arbres desséchés ou hors du temps de la floraison.
En effet, le lendemain, lorsqu’il se fut posté sur la grande route, tenant entre ses
mains, dans un vase, les cendres de son mortier, il ne larda pas à voir s’avancer le cortège
d’un daïmio, et bientôt il entendit retentir le terrible « staniéro ! » l’ordre de s’agenouiller.
Néanmoins il trouva le courage de se tenir ferme sur ses jambes.
Les hérauts du prince renouvelèrent la sommation, la main sur la poignée de leurs*
sabres ; mais apprenant, par la réponse du vieillard, qu’ils avaient affaire à un magicien,
ils s’abstinrent de le châtier et coururent rendre compte à leur maître de l’étrange
aventure qui leur arrivait.
— « Eh bien, s’écria le prince, que ce prétendu magicien me donne la preuve de
son pouvoir ! »
Le vieillard jeta une poignée de cendres en l’air contre un arbre qui étendait ses
branches au-dessus de la route. Aussitôt l’arbre se couvrit de fleurs éclatantes.
Le prince ordonna de conduire cet homme dans son palais, et, l’y ayant retenu quelque
temps, il le renvoya comblé des plus riches présents.
Comme il n ’était bruit que de cet événement dans tout le village, l’envieux et méchant
voisin n ’eut pas honte de se présenter de nouveau chez le vieillard et de lui demander
quelque peu des cendres du merveilleux mortier.
Dans son inépuisable bonté, le vieillard lui en accorda.
Aussitôt le méchant homme se met à guetter sur la grande route le passage d’un
train de daïmio.
Un cortège parait dans le lointain, s’approche lentement, majestueusement.
L’envieux roidit ses articulations d’ailleurs si flexibles, et les hérauts l’accostant, il
proclame effrontément son magique pouvoir.
Mais lorsqu’il en vint à jeter contre un arbre une poignée de cendres, celles-ci, au
lieu ,d’atteindre les branches et de les couvrir de fleurs, retombèrent sur les yeux du
daïmio. Il n’en fallait pas tant pour le mettre en colère. Il tira son grand sabre et en
frappa le misérable. Les gens de la suite lui coupèrent la tête.
Ainsi le méchant homme finit comme il le méritait.
Et maintenant, ne sommes-nous pas en droit de conclure qu’une étude du Japon
faite au point de vue littéraire promettrait d’intéressantes découvertes ?
Nôtre siècle cosmopolite, avide de nouveaux débouchés commerciaux, finira par s’enquérir
aussi de nouvelles sources de jouissances intellectuelles. Nos littératures d’Europe
ne perdront rien à sortir quelque peu du monde èt du demi-monde de leur étroit horizon.
Déjà la poésie allemande contemporaine s’est enrichie de nombreux joyaux que
Rückert et Henri Heine ont tirés des inépuisables écrins de la Perse et de l’Indostan.
L’extrême Orient est encore une mine vierge. La science nous en révèle de plus en plus
les trésors. C’est aux poëtes de lés exploiter. Le contact du génie littéraire de l’Occident
avec les civilisations de l’extrême Orient ne peut manquer de produire des oeuvres dignes
d’occuper une place honorable parmi les créations de l’esprit humain. Nous en avons
même pour garants, quelque fragmentaires qu’ils soient, les deux uniques essais que l’on
ait, à ma connaissance, tentés jusqu’à ce jour dans cette direction. A côté de- ses grands
travaux d’histoire naturelle, le docteur Junghuhn a laissé un opuscule philosophique et