
monde extérieur que par l’intermédiaire des femmes chargées du soin de sa personne.
Ce sont elles qui l’habillent et le nourrissent, lui adaptant chaque jour un costume neuf,
et le servant dans de la vaisselle sortie le jour même de la fabrique qui a le monopole
de cette fourniture. Jamais les pieds du sacré personnage ne touchent le sol ; jamais sa
tête n ’est exposée au grand air, au plein jour, aux regards profanes ; jamais, en un
mot, le Mikado ne doit subir le contact ou l’atteinte, ni des éléments, ni du soleil,
ni de la lune, ni de la terre, ni des hommes, ni de lui-même.
Il fallait que l’entrevue eût lieu à Kioto, la ville sainte, qu’il n’est pas permis au
Mikado d’abandonner. 11 n ’y possède en propre que son palais et d’anciens temples
de sa famille. La ville elle-même est sous la domination du Siogoun ; mais celui-ci en
consacre les revenus aux dépenses du souverain spirituel, et daigne y entretenir une
garnison permanente pour la protection du trône pontifical.
Tous les préliminaires étant accomplis de part et d’autre, une proclamation annonça
le jo u r où Minamoto Yémitz sortirait de sa capitale, l’immense et populeuse Yédo,
ville tôute moderne, centre de l’administration politique et civile de l’empire, siège de
l’écôle de la marine, de l’école militaire, du collège des interprètes et de l’académie
de médecine et de philosophie.
Il se fit précéder d’une troupe d’élite, qui s’achemina sur Kioto par la voie de terre,
en suivant la grande route impériale du Tokaïdo, et il donna l’ordre à sa flotte de
guerre d’appareiller pour la mer intérieure. Lui-même, le souverain temporel, monta
sur sa grande jonque de guerre, et l’escadre, sortie de la baie de Yédo, doubla le cap
Sagami et le promontoire d’Idsou, franchit les passes du détroit de Linschoten, et,
longeant les côtes orientales de l’île d’Awadsi, alla jeter l’§Lncre dans la rade de Hiogo,
où le Siogoun se fit descendre à terre au milieu de la noblesse des provinces riveraines,
prosternée à sa rencontre sur une plage recouverte de tapis précieux.
Son entrée solennelle à Kioto eut lieu quelques jours plus tard, sans autre démonstration
militaire que l’appareil de sa propre armée, pour la raison que le Mikado n ’a ni
troupes ni canons à sa disposition, mais simplement une garde d’archers de parade, recrutés
parmi les familles de sa parenté ou de la vieille noblesse féodale. Même dans ces modestes
conditions, il subvient avec peine à l’entretien de sa cour : les contributions de la résidence
n’y suffisant pas, il doit accepter, d’une main, le montant d’une rente que le Siogoun
veut bien lui payer sur sa cassette, et, de l’autre, le produit d’une collecte que les frères
quêteurs de certains ordres monastiques vont faire annuellement pour lui, de village en
village, jusque dans les provinces les plus reculées de l’empire. Si quelque chose lui permet
encore de soutenir son rang, c’est l’héroïque désintéressement d’un grand nombre
de ses hauts dignitaires. Il en est qui le servent sans autre rémunération que la jouissance
gratuite des riches costumes réglementaires de la vieille garde-robe impériale.
Ces circonstances n’empêchèrent pas le Mikado d’inaugurer la journée de l’entrevue
en étalant aux regards de son superbe rival le spectacle de la grande procession du daïri.
Accompagné de ses archers, de sa maison, de sa cour et de toute sa suite pontificale, il
sortit du palais par le portique du Sud, qui, vers la fin du neuvième siècle, lut décoré des
compositions historiques du célèbre peintre et poëte Kosé Kanaoka. Il descendit, le long
des boulevards, jusqu’aux faubourgs que baigne l’Yodo-gawa, et remonta vers le castel,
en parcourant toutes les rues principales de la cité.,
Il faisait porter avec pompe, en tête du ¿.cortège, les antiques insignes de son pouvoir
suprême : le miroir d’Izanami, son aïeule, la charmante déesse qui donna le jour au Soleil
dans l’île d’Awadsi ; les glorieuses enseignes dont les longues banderoles de papier avaient
flotté sur les troupes du conquérant Zinmou ; le glaive flamboyant du héros de Yamato.
qui dompta l’hydre à huit têtes à laquelle on sacrifiait des vierges de sang princier ; le
sceau qui fut apposé aux lois primitives de l’Empire ; l’éventail en bois de cèdre, ayant la
forme d’une latte et remplissant l’usage d’un sceptre, qui, depuis plus de deux mille ans,
passe des mains du Mikado défunt à celles de son successeur.
Je ne m’arrêterai pas à une autre exhibition, destinée sans doute à compléter et à
rehausser l’effet de la première, savoir celle des bannières armoriées de toutes les anciennes
familles seigneuriales de l’Empire, qui relèvent directement du daïri. Peut-être
cette manifestation devait-elle rappeler au Siogoun qu’il n’était qu’un parvenu aux yeux
de la vieille noblesse territoriale ; mais ce parvenu pouvait sourire complaisamment à la
pensée que tous les seigneurs japonais, les grands comme les petits daïmios, n’en sont