
Mais son père n’ayant pas donné son assentiment à celte transaction, le Mikado prononça
définitivement la suppression du siogounat.
11 fit lui-même son entrée solennelle à Yédo, le 25 novembre 1868. Le Gastel lui fût
remis par le prince Owari, qui appartenait au camp des confédérés, malgré sa qualité de
Gosanké. La branche des princes de Ksiou n’a joué aucun rôle ostensible dans ces troubles.
Si le taïkounat a sombré au premier choc, sous le règne d’un prince de la branche de
Mito, il faut en rechercher la cause dans les sanglantes rivalités de famille qui ont épuisé
la dynastie des Tokoungawa.
On ne peut dire que la pacification du Japon soit complète. Les derniers partisans du
Nord ont succombé après des luîtes héroïques qu’ils soutinrent dans l’ile de Yéso, dont ils
avaient pris possession sous la conduite du jeune et chevaleresque Enomoto Idsoumi no
Kami, amiral de la flotteUaïkounale. Néanmoins les deux partis s’observent encore et
demeurent à peu près d’égale force. L’antipathietraditionnelle qui règne entre les daïmios
du Sud et ceux du Nord s’oppose à la centralisation complète de l’administration. Une
proposition de Satsouma, tendant à ce que tous les daïmios du Japori-fissent retour de leurs
. seigneuries au Mikado, n ’a servi qu’à compromettre ce prince aux yeux de ses propres alliés.ti
Le gouvernement du Mikado a compris la nécessité d’ériger officiellement Yédo en
seconde capitale de l’Empire. On lui donne à ce titre le nom de Tô-Keï.
‘ Le Mikado lui-même ne peut Se dispenser d’y résider au moins une partie de l’année,
ne fùt-ce que dans l’intérêt de ses rapports avec les représentants des puissances étrangères.
Bien plus, il est déjà question de la nomination d’un vice-roi, afin que chacune des
deux capitales ait sa cour ainsi que sa part d’influence dans les affaires de l’Etat.
Ce serait, sous un autre titre, le rétablissement du taïkounat et probablement la restauration
de la dynastie Tokoungawa.
En tout cas, les beaux jours d’Aranjuez sont passés dans le daïri, et en général pour
les gentilshommes de Kioto. 11 faudra qu'ils se résignent à échanger les combats de coqs
et le jeu de paume contre le fardeau des affaires, et à se trouver en contact immédiat et
journalier avec le monde de l’Occident.
La guerre civile a jeté une grande perturbation dans les finances des princes et du
o-ouvernement. Le Mikado s’est vu contraint de créer un papier-monnaie (kinsatz), auquel
il donne cours forcé, tout en se refusant à l’accepter dans les caisses publiques.
Le commerce se plaint, comme il en a le droit et le devoir, mais je présume que ce
• n ’est pas sans un léger sourire et dans la juste prévision que très-prochainement, à dater
du jour où cette mesure économique sera complètement tombée dans le discrédit, les
Japonais en viendront enfin à ouvrir les mines, pour ainsi dire encore vierges, dont leur
pays abonde, et à en remettre la concession et l’exploitation à l’industrie des Européens.
C’est ainsi que tout vient en aide à ces derniers, jusqu’aux événements en apparence
les plus fâcheux pour les intérêts du commerce ; et en effet, à mesure que les brèches
se multiplient dans la vieille muraille de l’édifice japonais, il est bien naturel que la plajfe
tombe plus promptement au pouvoir des envahisseurs.
Mais il ne faut pas nous faire d’illusion sur nos avantages. Ce n’est pas tant notre
LE NOUVEL ORDRE DE CHOSES AU JAPON. 399
prestige politique, ni l’éclat dè nos ambassades, c’est la supériorité de notre civilisation,
au point de vue des arts mécaniques et industriels, qui constitue notre meilleur argument
auprès des Japonais..
Ils sont mieux renseignés qu’on ne le pense sur la situation générale de l’Europe et
sur la force de tel ou tel État en particulier. Les voyages de leurs ambassades en Amérique,
en Angleterre, en Hollande, en Belgique, en France, en Prusse, en Russie, en Suisse,
en Italie, depuis 1860 jusqu’à 1868 ; la part qu’ont prise à l’Exposition universelle de Paris,
le Taïkoun, le prince de Satsouma, le prince de Fizen et le commerce de Yédo ; les études
faites en Europe par un nombre relativement considérable de jeunes Japonais, dont le
contingent se renouvelle d’année en année : voilà .surtout ce qui a consolidé l’oeuvre des
traités et ce qui met nos relations réciproques à l’abri de toutes les vicissitudes politiques.
Le Japon est dévolu à l’Occident. Depuis les expéditions de Taïkosama en Corée, où
ses troupes battirent à outrance les auxiliaires chinois envoyés au secours d e c e royaume,
le gouvernement du Céleste Empire est resté en froid envers le grand Nippon. Il semble
même qu’il ait défendu à ses sujets d’entretenir des relations commerciales avec ce pays,
car les jonques qui visitent Nagasaki et les ports de la mer intérieure viennent de Nlngpo
exclusivement et appartiennent à;une corporation marchande qui n ’est que tolérée par les
gouverneurs du Chékiang.
De toutes les contrées de l’extrême Orient, le Japon, dans sa région moyenne, le Sud
de,Nippon, Sikoff et Iviousiou, est le pays qui plaît et convient le mieux aux Européens.
Les quatre saisons y sont très-caractérisées : de mars à la seconde moitié de mai, un
printemps splendide ; de juin en septembre, l’été, s’ouvranl par une courte saison de
pluies'suivie de chaleurs pendant lesquelles le thermomètre marque de 14 à 27° Réaumur-,
de septembre à la fin de novembre, un automne sans fortes chaleurs, ni pluie, ni coups de
vent, ni moustiques ; enfin trois mois d’hiver, le plus souvent à l’abri des tempêtes et
(sous un ciel d’une parfaite sérénité, avec une température où l’on voit quelquefois, à
Y okohama, le thermomètre tomber à —• 5° Réaumur.
De septembre en avril les vents dominants sont ceux^u Nord et de l’Est, et le reste de
l’année «eux du Sud et de l’Ouest.