
rives, où les dieux mêmes se choisirent autrefois un asile. Maintenant, disait-il, elles
étaient habitées par des tribus barbares, en guerre les unes avec les autres. Si le prince
voulait profiter de leurs divisions, quelque habiles que fussent leurs hommes d’armes
dans le maniement de la lance, de l’arc et du glaivè, comme ils n ’étaient vêtus que de
grossiers tissus ou de peaux de bêtes sauvages, ils ne résisteraient pas à une armée disciplinée
et protégée contre leurs coups par des casques et des cuirasses de fer.
Zinmou prêta l’oreille aux suggestions du vieux serviteur. Il réunit toutes les forces
dont il pouvait disposer, les distribua sous les ordres de ses frères aînés et de ses fils,
les embarqua sur une flotte de jonques de guerre parfaitement équipées, et prenant en
main le commandement en chef de l’expédition, il fit mettre à la voile et s’éloigna de
sa résidence, où ni lui ni ses frères ne devaient plus revenir.
Après avoir doublé la pointe Sud-Est de Kiousiou, il longea la partie orientale de cette
île, serrant de près la rive, comme le. faisaient nos anciens Normands, opérant des
descentes, livrant bataille quand on lui résistait, formant des alliances lorsqu’il rencontrait
des seigneurs ou des chefs de clans disposés à concourir au succès de son
entreprise.
Il paraissait évident que toute cette côte avait été le théâtre d’anciennes invasions.
La population se composait d’une classe dominante et de serfs attachés à la glèbe.
On montrait, dans quelques chapelles de Kamis nationaux, des armes de pierre dont
se servaient les peuplades primitives, à l’époque où elles vinrent en contact, on ne sait
par quelles circonstances, avec une civilisation supérieure.
Lorsque Zinmou parut, des murs et des palissades protégeaient les familles et les
gens de guerre des maîtres du pays. Ceux-ci étaient armés d’un arc et de longues
flèches empennées, d’un grand sabre à la poignée ciselée et d’un glaive nu engagé
dans un repli de leur ceinture.
Leur plus grand luxe consistait en une chaîne de magatamas ou joyaux taillés, qu’ils
portaient suspendue au côté, au-dessus de la hanche droite. On y remarquait des pierres
de bézoard, du cristal de roche, de la serpentirçé, du jaspe, de l’agate, des améthystes, -
des topazes : les unes présentant la forme d’une boule ou d’un oeuf, d’autres la figure
d’un petit cylindre, d’un croissant, d’un anneau brisé.
Les femmes avaient des colliers composés de la même manière.
On dit que l’usage des magatamas s’allie encore aujourd’hui à certaines solennités
religieuses dans les îles Liou-Kiou et à Yéso dans le Nord du Japon, et l’on en conclut
qu’il a dû être commun à toutes les peuplades que l’on rencontre sur la longue ceinture
d’îles qui s’étend de Formose au Kamtchatka. S’il a disparu de la région centrale de
l’archipel japonais, il faut chercher la cause de ce phénomène dans l’influence du haut
degré de culture qui caractérise les habitants de ces contrées et qui leur a fait abandonner
comme une mode de mauvais goût la coutume d’étaler sur leur personne toutes
les richesses de l’écrin de famille.
Après dix mois d’une navigation difficile, entrecoupée de brillants faits d’armes et
de négociations fructueuses, Zinmou atteignit l’extrémité Nord-Est de l’île de Kiousiou.
Il était assez embarrassé d’aller plus loin, lorsqu’il découvrit un pêcheur voguant avec
assurance, accroupi sur la carapace d’une grosse tortue. Il le fit héler aussitôt, et le prit
à son service en qualité de pilote de l’expédition.
Alors Zinmou put franchir le détroit qui sépare Kiousiou de la terre de Nippon, dont
il suivit les côtes dans la direction du Levant, opérant avec une prudente lenteur, et ne
laissant derrière lui aucun point important dont il ne se fût assuré la possession. Cependant,
comme les tribus indigènes lui opposaient une vive résistance, sur mer aussi
bien que sur terre, il s’arrêta dans sa marche, et s’étant fortifié sur la presqu’île de
Takasima, il y employa trois années à la construction et à l’équipement d’une flotte
auxiliaire.
Lorsqu’il se remit en campagne, il acheva la conquête du littoral et des archipels
de la mer intérieure ; puis, débarquant le gros de son armée, il pénétra dans les terres
de Nippon, et y établit sa domination sur les riches contrées entrecoupées de vallées
fertiles et de montagnes boisées qui s’étendent d’Osaka aux abords du golfe de Yédo.
A partir n e ce moment, tout le pays cultivé et toutes les peuplades civilisées de l’ancien
Japon étaient au pouvoir de Zinmou.
Ce conquérant inaugure et consacre la prépondérance du Sud dans les destinées
du peuple japonais. Que la race qui dominait avant lui sur les habitants indigènes ait
été d’origine touranienne ou non, elle subit, à son tour, la loi de cette dernière et