
SIN-Y0S1WARA. 283
11 en est de ce genre d’esclavage comme de l’esclavage des noirs, comme de tout abus
de la force brutale. Ce sont des méfaits qui se vengent par leurs propres conséquences,
jusqu’à ce que l’excès du mal amène la chute de l’institution qui le produit.
Ah ! si l’on pouvait calculer ce que coûte aux populations japonaises l’entretien,
l’alimentation permanente ou plutôt toujours croissante, de leurs cités du vice: Quelle
déperdition de forces, physiques et morales ! quelle contagion du mal et quels ravages
parmi les jeunes générations ! quelles hécatombes d’existences féminines !
De temps en temps, au milieu des réjouissances nocturnes, la sinistre rumeur d’une
sanglante catastrophe révèle soudainement l’abîme que recouvrent les tentures et les
(leurs de ces lieux de malédiction. Tantôt c’est une infortunée qui achève de ses mains,
sur son propre corps, l’oeuvre de destruction commencée par les maladies. Tantôt c’est
un jeune homme à bout d’expédients financiers, qui, voyant arriver l’heure où il sera
rejeté par sa maîtresse comme un objet de rebut, l’égorge et se frappe lui-même dans
le salon qu’il lui a meublé. Le plus souvent, toutefois, les courtisanes de la haute volée
savent faire en sorte qu’il n'v ait pas double scandale. On en cite qui s’enorgueillissenl
du nombre de leurs victimes. Quelques-unes des plus célèbres ont affiché ouvertement,
avec un succès inouï, le mépris de l’homme et de la vie humaine, l’amour du gain et
le goût des folles dépenses. La redoutable Gigokoô s’attribuait une puissance satanique
sur l’espèce humaine. Les broderies de son kirimon représentaient des scènes de
l’enfer : le grand juge faisant comparaître à son tribunal des âmes chargées de crimes,
et les damnés expiant leurs forfaits dans des chaudières d’eau bouillante ou dans les
corps de bêtes monstrueuses.
A un degré inférieur de l’échelle sociale de Sin-Yosiwara, dans les régions fréquentées
par les petits bourgeois et les hatlamotos, on se suicide par amour : 1 amant,
parce qu’il n’est pas assez riche pour racheter sa maîtresse ; et celle-ci, parce qu’elle
lui a juré fidélité. De part et d’autre, on s’était fait illusion : l’oubli des lieux et des
circonstances avait succédé à l’ivresse de la première rencontre. L’aspect même du
quartier, dans ses heures de joie, est propre à induire en erreur. Chacune des personnes
qui l’habitent possède un petit salon ouvrant de plain-pied sur la voie publique. Quand
toutes ces pièces sont illuminées, ornées de fleurs, animées de visites, de chants et de
jeux de société, l’on dirait que des fêtes de famille se succèdent de porte en porte
jusqu’aux deux extrémités de la ru e .,
Tel est parfois le prestige des apparences, dans ce monde du vice, où tout est
séduction mensongère ou fugitive illusion, que même la jalousie a pu s’v introduire èt
y laisser des traces sanglantes de son passage.
J ’ai vu représenter sur la scène dramatique de Yokohama la fin tragique d’une
courtisane dont un jeune samouraï avait interprété les tendres déclarations comme si
elle les eût prononcées hors de Yosiwara. Déçu dans son amour, froissé dans son
honneur, le farouche gentilhomme fait tomber d’un coup de sabre la tète de l’infidèle.
La sibaïa japonaise se garde bien de mettre cette scène en récit. L’acier brille et la victinje
s’affaisse sous les yeux des spectateurs. L’orchestre éclate en manifestations d’horreur et
A