
Quant aux fusils de l’armée japonaise, bien qu’ils soient tous à percussion, ils varient
de calibré et de construction, selon leur provenance. J ’en ai vu de quatre sortes différentes
aux râteliers d’unè caserne de Renten; où un yakounine me fit la faveur de m’introduire.
11 me montra d’abord un modèle hollandais, puis une arme de qualité inférieure, sortie
d’ateliers que l’on avait'établis à Yédo, pour travailler d’après ce modèle ; ensuite un
fusil américain, et enfin le fusil Minié, dont un jeune officier enseignait le maniement
à un peloton de soldats dans la cour de la caserne.
Je remarquai que cet instructeur commandait l’exercice en hollandais, ]! tenait de la
main droite une baguette de fusil, et la grâce de ses mouvements, ainsiiqjjre,la douceur de
sa voix, me l’eùt fait prendre de loin pour un maître de danse ¡dirigeant avec un archet
les pas de ses élèves. Je l’engageai à venir voir chez moi le fusil de chasseur et la carabine
suisses. Une demi-douzaine de ses camarades répondirent avec lui à cette invitation.
Quand ils eurent échangé leurs observations : « Nous comprenons, nie dit l’un d’eux,
que ces armes sont supérieures à celles que nous connaissons, quant à la portée et à la
précision du tir ; niais il faudrait les perfectionner encore, en les transformant de manière
qu’elles puissent se charger par la culasse. »
Ils avaient vu, quelques jours auparavant, des fusils à aiguille entre les mains des
. soldats de marine de la corvette prussienne lu Gazelle. I! faut remarquer que ceci se
passait en 1863, à une époque où rien n ’attirait spécialement l’attention sur la Prusse.
Malgré cette prompte intelligence des progrès réalisés dans l’art de la guerre en
Occident, les Japonais n ’ont pas encore pu s’affranchir du lourd attirail militaire de la
féodalité. Le casque, la cotte de mailles, la hallebarde, le sabre à deux mains sont de
rigueur dans les revues et les grandes manoeuvres. Des corps d’archers flanquent les
colonnes d infanterie équipées à l’européenne; des chevaliers dignes du temps des
croisades apparaissent dans la poussière des trains d’artillerie.
Tous les Samouraïs s’étudient journellement, dès leur bas âge, au combat corps à
corps, aussi bien à la lance qu’au sabre à deux mains, au glaive et au couteau. Le quartier
que nous traversons possède, à lui seul, deux champs de courses et plusieurs bâtiments
destinés-iaux exercices d’équitation et d’escrime de ses nobles, habitants. Nous voyons
passer des maîtres d’armes, accompagnés de leurs élèves et suivis de coskeis qui portent
des trophées de lances et de sabres de bois,’ ainsi que des gants, des masques et dos
plastrons qui me rappellent ceux dont on fait usage dans les salles d’escrime à la rapière
des universités allemandes.
Les jouteurs, encore échauffés de la lutte, ont rejeté sur une épaule leur manteau de
soie et ouvert leur justaucorps sur la poitrine. Ainsi allégés, ils cheminent à Taise, dignes
et silencieux, comme il convient a des gentilshommes. Un officier de haut rang, qui a été
simple spectateur de leurs exercices, garde dans son costume une tenue exempte de toute
recherche de ventilation ; mais il croit pouvoir s.ê'dispenser de conserver, au sortir de la
séance,-ses-gants, de coton blanc,: dont les manches remontent jusqu’au c'oùdê, et il en
a ganté'la poignée de ses deux'sabres, sans se douter.le moins du monde que cette ridicule
combinaison-liii donne, à 'nos'-ÿéux,-l’apparence d’un mannequin ambulant.