
fection des détails. Enfin nous atteignons la banlieue de Yédo. Une courte halte au seuil
de l’une des nombreuses maisons de thé du village d’Omori nous met en présence d’une
joyeuse société de bons bourgeois .de la cité accompagnés de leurs femmes et de leurs
enfants. On dirait, sauf le costume, quelque scène de nos cabarets de barrières. D’autres
groupes, non moins bruyants, assiègent un vaste magasin, spécialité d’articles en
jonc, paille et bambou, qui s’annonce au loin par une confuse symphonie de flageolets,
de trompettes, de flûtes de Pan, livrés à l’essai des jeunes amateurs. Une infinie variété
de jouets, de bambins, de chapeaux de fantaisie, d’animaux en paille tressée, peinte et
vernie-, sont mis à 1 ’étalage. : on y distingue l’ours de Yéso, le singe du Nippon, le buffle
domestique, la tortue centenaire traînant comme une longue queue les touffes d’herbes
marines qui croissent sur sa carapace. •
Mais le temps presse, et la vue de la rade couverte de blanches voiles excite notre
impatience. Bientôt nous longeons le bord de la mer. La chaussée repose sur de fortes
fondations à pierres perdues; mais les vagues, qui s’y brisaient autrefois, expirent
maintenant parmi les algues et les roseaux. A notre gauche s’étend un bois de pins et de
cyprès, au-dessus desquels volent des troupes de corbeaux, et quand nous apercevons
une lointaine: clairière, nos guides nous apprennent que c’est la place des exécutions
capitalçs, Dzousoukamori, ou du moins celle du Sud de la grande ville, car il y en a une
seconde pour les quartiers du Nord.
6, Rien n ’égale l’aspect sinistre de ces lieux. Même si l’on est assez heureux pour n’y
pas rencontrer des tètes exposées ou des cadavres abandonnés aux chiens et aux oiseaux,
on ne peut voir sans horreur ces terres remuées qui recouvrent les derniers restes des
suppliciés^ ce pilier de granit, portant je ne sais quelle inscription funèbre, cet ignoble
appentis, en planches destiné à servir d’abri, pendant l’exécution, aux officiers qui la président,
: et enfin, dominant le tout, la gigantesque statue du Bouddha, lugubre symbole
de l’efxpiation implacable et de la mort sans consolation.
Aussitôt après-avoir dépassé la place où la haute, justice du Taïkoun étale aux yeux
du- peuple - ses -vengeances exemplaires, on entre dans le faubourg le plus mal famé
de Yédo, Sinagawa, qui commence à deux milles au Sud de la ville et se relie à celle-ci
aux portes du quartier de Takanawa.
' Le gouvernement a pris des mesures de police pour que les étrangers qui viennent
à Yédo; .ou qui-résident en cette Ville, ne passent par Sinagawa que de jour et sous
une forte escorte, Cé : n ’est pas que la population stable de ce faubourg ne soit fort
inofFensive ; elle se compose, en majeure partie, de bateliers, de pêcheurs, de gens de
peine. Mais elle habite les cabanes qui iongent la plage, tandis que les deux côtés
du Tokaïdo sont bordés, presque sans interruption, de maisons de thé de la pire espèce.
On y rencontre la. même écume de la société que dans nos grandes cités d’Europe et
d’Amérique, -et en outre une classe très-dangereuse d’hommes sans aveu/ qui est
propre à la capitale du Japón. Ce sont les lônines, officiers sans emploi, appartenant à
la caste des Samouraïs, et gardant en conséquence le droit de porter deux sabres. Les
uns sont des fils de famille qu’une vie de débauche a jetés hors de la maison paternelle;