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362 LE JAPON ILLUSTRÉ!
constater combien était méritée la sévère leçon d’économie politique qui fut infligée, à
l’occasion du change, au gouvernement du Japon.
il n’existait pas d’unité monétaire dans ce pays. L’or et l’argent n’y remplissaient que
la fonction d’une sorte de bank-note métalliique, 'dont le gouvernement dirigeait et limitait
à son gré l’émission et le cours. Tout autre emploi de ces métaux préciéux était
interdit par lës lois ou par les coutumes traditionnelles, qui proscrivent l’usage des bijoux
ainsi que dès objets d’argentèrié ou» des- ornements d’orfévrerie, à l’exception des couronnes
du daïri et de quelques décorations de minime valeur, que l’on applique aux
sabres et aüx petits meublés de salon. Aussi la fortune ou plutôt les revenus des familles
seigneuriales, les honoraires des .fonctionnaires publics, et même la solde des officiers
militaires, ne sont-ils jamais estimés en argent, mais en nature* c’est-à-dire en kokous ou
mesures de riz, valeur qui peut varier, il est vrai, selon le rendement des récoltes, mais
qui à pourtant une certaine fixité'comparativement aux monnaies, dont le cours est abandonné
de la manière la plus absolue à l’arbitraire du gouvernement. La lutte qui s’en-
gagèa entre celui-ci et.les négociants étrangers fut donc* en réalité, un duel inégal, dans
lequel le premier se présentait sur le Jërrain avec les fâcheux antécédents et les misérables'
expédients d’un faux monnayeur, tandis que ses adversaires, spéculateurs avides
et-peu scrupuleux, pouvaient exploiter à outrance contre lui l’avantage qu’ils avaient
obtènu de régler le cartelj c’est-à-dire la convention monétaire, à leur plus grand profit.
Le1 gouvernement1, sé voyant assailli d’un nombre toujours croissant de bulletins de
change, tint bon pendant deux ou trois semaines ; puis tout à coup il ferma trànquillèr-
mënt les portes de la douane, en disant :: « Vous n’aurez plus rien, car il ne nous reste
rien en caisse. »
Les commerçants de Shanghaï, place où l’argent valait 1 pour 100 par mois, ne pouvaient
laisser chômer longtemps leurs capitaux à Yokohama.
Ils en appelèrent à l’intervention des consuls, et le trésor déclara qu’il reprendrait
ses payements, mais seulement sur présentation de bullètins personnels. Aussitôt les
maisons anglo-chinoises inondèrent la douane de bulletins dits personnels, tant pour le
compte de leurs chefs que pour leurs nombreux employés : chacune, à les entendre,
? en possédait une légion, comme il était facile de:s’en assurer par les signatures apposées
aux bulletins. On y lisait, en effet, les noms de MM. Nonsens, Jones, Jack, Robinson‘,
Bonne-aventure, e t’une foule d’autres du même goût; : ; -
Le trésor sè trouvant , de nouveau en face d’exigences qui outre-passaient sës ressources,
annonça qu’il ne serait désormais satisfait aux demandes pérsônnelles que dans
une équitable- proportion.
Mais il arriva que, «ur trois ¡particuliers, le, premier ayant présenté un bulletin de
500. dollars, le second de 1,000, et le troisième de 20. millions, lé solliciteur qui avait
demandé le change le; plus modeste, obtint dés ¡itzibous pour une dizaine de dollars ;
son collègue aux 1,000 dollars ;en reçut pour une vingtaine, et tout le reste des : pré-
1 Voir lès. articles''-publiés'à cette époque; novembre 1859, par M. Lindaii dans la Rëvufi des.Deux Mondes.