
Gankiro, c’est la sauver du dénûment, et c’est reculer, de quelques années peut-être, x
l’échéance de sa propre ruiire. Si la jeune fille est nubile, le marché est plus avantageux
encore, car il rapporte à la mère, pendant quatre ou cinq années, une rente annuelle de
cent ou deux cents francs.
Mais que devient la fille à l’issue du contrat ? M. Lindau nous apprend qu’elle ne
retient pas une obole de tout l’argent que lui rapporte son malheureux état ; qu’elle se
laisse généralement entraîner à contracter des dettes de toilette et de table envers le chef
du Gankiro ; que, pour les éteindre, elle en vient à conclure un nouvel engagement, et
qu’elle finit ordinairement ses jours en qualité de servante, ou de surveillante, ou de gouvernante,
dans la maison où elle a débuté comme élève. S’il arrive que parfois un homme,
' épris d’une courtisane, la rachète et même l’épouse, c’est un fait exceptionnel, qui peut
arriver en tout pays, mais qu’il faut se garder de généraliser en ce qui concerne le Japon.
Sin-Yosiwara renferme, dans son enceinte quadrangulaire, neuf quartiers distincts,
ayant chacun la forme d’un parallélogramme allongé dans la direction de l’Ouest à l’Est.
Il y en a cinq à gauche du portail et quatre à sa droite : les premiers sont séparés de ceux-ci,
dans toute la profondeur du quadrilatère, par une longue et spacieuse allée d’arbres à
fleurs doubles. A l’extrémité de cette belle promenade publique, s’élève une tour de guet,
pour la surveillance des incendies, et, à trois angles de la Cité, une chapelle adossée au
mur d’enceinte. Une large allée transversale, au centre des quartiers de droite, présente
aussi l’aspect d’une promenade publique, mais elle est réservée aux habitantes et aux visiteurs
des maisons de premier ordre dont elle se trouve entourée.
.C’est là que se fait, soit de jour, soit de nuit, selon les saisons, la parade habituelle des
notabilités féminines du Gankiro, toutes en kirimon chargé de broderies et en coiffure
rayonnante de peignes et d’épingles en écaille. Chacune d’elles est accompagnée de deux
ou trois élèves attachées à son service personnel. Ces jeunes suivantes portent les . couleurs
de. leur maîtresse et une élégante coiffure de fleurs artificielles, fréquemment
rehaussée d’un parasol approprié à leur taille.
Les grandes dames de Sin-Yosiwara ont leurs appartements, leur salon de réception,
meubles avec la plus exquise élégance. Quelques-unes sont entretenues par des fils de
famille, qui payent une rente mensuelle au chef du Gankiro. Le secret de pareilles
relations, qui échappent plus que d’autres à la vigilance paternelle, leur donne un
caractère particulièrement dangereux. Les courtisanes ne manquent jamais d’en abuser
pour se livrer à leur goût effréné de luxe et de parure. Plus d’un patrimoine s’est englouti
dans la satisfaction de leurs caprices, aussi bien que de la folle vanité de leurs adorateurs ;
car c’est, au fond, toujours la vanité qui joue le rôle principal dans les grandes sottises
que l’on peut imputer à quelque autre passion.
Le Gankiro proprement dit est le casino du beau monde de Sin-Yosiwara. On
paye une entrée au concierge et l’on est introduit au salon de conversation. La tenue
en est irréprochable. La pipe et les rafraîchissements d’usage dans toutes les invitations
japonaises assaisonnent un échange de lieux communs rajeunis par les spirituelles
reparties des dames de la société. Ordinairement l’une d’elles, au choix du visiteur,