
Dans une anse voisine, stationnait, à l’écart, un autre steamer de guerre, sur lequel
flottait le pavillon national japonais, qui porte sur un champ blanc un disque écarlate,
emblème du soleil levant.
L’aspect de Nagasaki a considérablement changé depuis quelques années. A l’extrémité
du faubourg d’Akounora s’élèvent de grands ateliers de construction et de réparation
de machines à vapeur. En face, c’est-à-dire sur la droite lorsqu’on entre en rade, nous
distinguons successivement, à mi-côte, le consulat français, la chapelle anglicane, le consulat
britannique, le consulat américain, et au-dessous, le long du rivage, le nouveau
quartier franc d’Omoura, occupé par les maisons d’habitation et par les magasins des
négociants anglais et américains; plus loin, 1% vieille factorerie chinoise; et à gauche,
deux petites îles reliées par des ponts à la cité japonaise, savoir : l’île de Sintzi, entrepôt
des douanes du gouvernement, et l’île de Décima, siège de la factorerie de la Compagnie
des Indes néerlandaises, ainsi que d’autres établissements appartenant à des maisons de
commerce allemandes et hollandaises. On y voit flotter les pavillons consulaires de la
Prusse et de la Hollande.
Placé officiellement sous la protection de cette dernière puissance, c’est à Décima que
je débarquai, et j ’y fus accueilli par M. le consul général de Wit, qui m’installa aussitôt
dans sa résidence. Ainsi je débutais au lieu même où finit l’histoire ancienne du
Japon, au foyer où se sont entretenues pendant deux siècles et demi les uniques relations
de cet empire avec le monde occidental. Cette demeure des surintendants de la factorerie
néerlandaise et des commissaires royaux qui leur ont succédé, occupe une place importante
dans les annales du commerce et de la politique, des découvertes géographiques
et des sciences naturelles. Et j’assiste, pour ainsi dire, au convoi funèbre de tout son passé.
Décima devient un quartier franc au même titre qu’Omoura. Les relations de la Hollande
avec le Japon perdent leur caractère exceptionnel. Elles cessent de ressortir au gouvernement
des Indes néerlandaises dont le siège est Batavia, et passent sous la direction du
ministère des affaires étrangères à la Haye. M. de Wit va prochainement s’en retourner à
Java. Son successeur ne <sera plus simplement un consul général de commerce, mais
l’agent politique des Pays-Bas au Japon, et, comme les chefs des autres légations de l’Occident,
il devra éta^ ir sa résidence à Yédo. Depuis la conclusion des nouveaux traités, toute
l’attention de la diplomatie étrangère se concentre sur cette capitale.
Nagasaki n’était pour moi qu’une étape sur la route de Yédo ; mais on m’y avait
adressé des dépêches et toute une cargaison de bagages. J’y passai une dizaine de jours
consacrés essentiellement aux affaires. Le gouverneur de la place voulait me persuader
d’attendre en paix les événements, sous l’égide de son administration paternelle. Il se
garda toutefois d’insister, lorsque je lui eus déclaré mes intentions, et je dois lui rendre
le témoignage que nulle part au Japon les Européens ne m’ont paru jouir d’une plus entière
liberté que dans la circonscription de sa bonne ville impériale.
J ’ai été, comme tous les voyageurs qui ont dépeint Nagasaki, charmé de sa situation,
ainsi que dé la beauté de ses environs. Les collines de l’est, affectées au culte des morts et
couvertes de terrasses et de monuments funéraires, sont les plus admirables cimetières