
« Leurs regards parcourant les gracieux bassins de la mer intérieure du Japon, ils
décidèrent d’un commun accord de se diriger vers la belle île d’Awadsi : elle repose,
comme une corbeille de feuillage et de fleurs, sur les eaux calmes et profondes que protègent
d’un côté les rochers de Sikoff et de l’autre les fertiles rivages de Nippon.
« Lorsqu’ils y furent arrivés, ils ne pouvaient se rassasier des charmes de cet asile
solitaire. Tantôt ils parcouraient les campagnes émaillées de fleurs, qui s’étendent au
bord de la mer, sur la côte septentrionale ; tantôt, gravissant les collines, ils respiraient les
parfums des bosquets de myrtes et d’orangers, ou s’asseyaient au bord d’une fraîche cascade
dont le murmure se mêlait au gazouillement des oiseaux. Le centre de l’île leur
offrait, sur les croupes des hautes montagnes, le vaste ombrage des pins, des camphriers
et d’autres arbres aromatiques, ou la mystérieuse retraite de grottes tapissées de mousse
et voi lées d’ un rideau de lianes ondoyantes.
« En voyant cette île qui était leur ouvrage, cette belle nature dont ils avaient eux-
mèmes évoqué les éléments, ces oiseaux qui suspendaient gaiement leurs nids aux branches
des bocages, il leur sembla que l’existence terrestre n’était pas indigne des dieux
mêmes. Les jours, les saisons, les années, s’écoulèrent ; et un temps vint où le couple
céleste n ’errait plus solitaire^dans les prairies et sur les collines : une troupe de gais enfants
s’ébattaient sous ses yeux, au seuil de sa demeure, dans une riante vallée de la belle
Awadsi.
« Cependant, à mesure qu’ils grandissaient, un voile de tristesse obscurcissait parfois
les regards de leurs parents.
« Le céleste couple, en effet, ne pouvait ignorer que tout ce qui naît sur la terre est
assujetti à la mort. Ses enfants, tôt ou tard, devaient donc subir l’impitoyable loi du
trépas.
« Cette pensée faisait frémir la douce Izanami. Il ne lui était pas possible de se représenter
qu’un jour elle dut fermer les yeux de ses enfants, et continuer de jouir elle-
même de l’immortalité. Il lui semblait préférable de descendre avec eux dans la tombe.
« Izanaghi résolut de mettre fin à une situation qui devenait toujours plus angoissante.
Il persuade son épouse de remonter avec lui aux célestes demeures, avant que le
spectacle de la mort ait attristé leur bonheur domestique : « Il est vrai, » lui dit-il, « que
« nos enfants ne pourront pas nous suivre au séjour de l’éternelle félicité ; mais je veux,
.« en les quittant, adoucir la douleur de la séparation par un legs qui leur donnera le
« moyen de se rapprocher de nous autant que le permet leur condition mortelle. »
« Il dit, et l’heure des adieux étant, arrivée, il invita ses enfants à essuyer leurs
larmes et à prêter une oreille attentive à ses dernières volontés.
| Il commença par leur dépeindre, en des images pour lesquelles la parole humaine
n’a pas d’expressions, cet état d’immuable sérénité qui est l’apanage incorruptible
des habitants du ciel. Il le fît resplendir à leurs yeux comme la pure lumière d’un
astre, inaccessible sans doute? mais que déjà l’on croit pouvoir atteindre du sommet de
la montagne qui borde l’horizon : « Ainsi, » ajouta-t-il, « sans posséder ici-bas cette féli-
« cité réservée seulement à un monde supérieur, il ne tiendra qu’à vous d’en avoir, dès