
I
On ne connaît pas au Japon la coutume des voyages de noces. Loin de laisser les
jeunes époux jouir en paix de leur bonheur, il n’est sorte de prétextes que Ton n’invente
pour les accabler d’invitations et de visites, toujours accompagnées de collations et de libations
prolongées.
Aussitôt que l’épouse a l’espoir de devenir mère, le ban et Tarrière-ban de la parenté
se réunissent à son domicile,, et la proclamation de l’heureuse nouvelle est saluée par un
concert de félicitations bourrues, de questions indiscrètes, et de confidences hygiéniques,
absolument intraduisibles dans nos idiomes de l’Occident, à moins que Ton ne veuille
recourir au latin. La jeune femme, à dater de ce moment, passe sous la haute direction
d’une matrone expérimentée, Tobassan, vrai personnage de comédie, dont toute la science
consiste à se rendre indispensable pour le reste de ses jours dans la maison où elle a su
faire agréer ses services. Le troisième mois atteint, nouvelle solennité, non moins difficile
a décrire que la précédente. L’obassan en fait les honneurs : elle déploie avec dignité:,
étale aux yeux des témoins, décrit en long et en large, et finalement applique à sa
protégée la ceinture traditionnelle de crêpe rouge, qui ne doit plus être déposée qu’à la
sixième lunaison. Quand l'heure suprême s’est annoncée, parents et voisins font cercle
àutour de la patiente, qui, tantôt gisante sur le flanc, tantôt accroupie et se soutenant des
deux mains à une bande d’étoffe fixée au plafond de sa chambre, subit avec une humble
résignation la torture que lui imposent tour à tour les ordres de l’obassan et les avis contradictoires
dès conseillers officieux. L’événement même ne fait que redoubler leurs obsessions.
Uû inconcevable préjugé refuse à la jeune mère le repos réparateur que tout son
être sôllicite ; elle ne le trouve que lorsque son enfant, après avoir- reçu les premiers-
sbins nécessaires, est enfin déposé entre ses bras.
Ici commence la seconde phase de sa carrière conjugale. Son rôle de nourrice durera
deux années au moins, pendant lesquelles ses largesses devront s’étendre jusqu’aux enfants
de-ses amies, selon les règles de civilité qui président aux visites des dames japonaises.
Par un autre échange de courtoisie, les grandes filles du voisinage se disputeront la
laveur de porter le nouveau-né à la promenade, non point dans une pensée de puérile
ostentation, mais afin de s’exercer, plus sérieusement qu’on ne peut le dire, à le combler
entre leurs bras et sur leur poitrine de tous les soins, réels ou simulés, qui concernent
l’apprentissage de leur future vocation.
Le trentième jour après sa naissance, tout citoyen du grand Nippon reçoit son prénom,
ou plutôt son premier nom, car il en prendra un autre à sa majorité, un troisième en se
mariant, un quatrième quand il exercera quelque fonction publique, un cinquième lorsqu’il
montera en grade ou en dignité, et ainsi de suite jusqu’au dernier, le nom que Ton
donne après la mort et que Ton grave sur la tombe, celui qui consacre la mémoire du
défunt, de génération en génération.
Lacérémonie qui correspond a notre baptême est une simple présentation du nouveau
né au temple du dieu de ses parents. Excepté dans quelque? sectes, elle n’est point accompagnée
d’aspersion d’eau, ni de formalités de purification. Le père remet un billet portant