
des anciens Siogouns.; ici, des maisons de thé, de grands vergers, des établissements
d’horticulture ; là, des arbres sacrés, des reposoirs installés aux plus beaux points de vue,
et parfois une colline isolée, taillée en forme de Fousi-yama.
L’Inaka, en un mot, vue à vol d’oiseau, offre l’image d’un parc, d’un jardin continu,
parsemé d’habitations champêtres, ou encore, c’est comme une guirlande de verdure et
de fleurs, qui enlace et relie les uns aux autres les faubourgs du Midi et les arrondissements
de l’Ouest, les quartiers d’artisans disséminés aux extrêmes barrières des chaussées
qui pénètrent au coeur de la ville, et les villages dispersés à la limite des rizières, et enfin
les groupes d’habitations qui bordent les rives du Sumidagawa.
A l’époque de la floraison des vergers, le bourgeois, le peintre, l’étudiant tournent
à l’idylle, prennent des goûts champêtres, fuient les travaux et les plaisirs de la capitale
et se cachent pour un jour, pour plusieurs jours, si c’est possible, parmi les bosquets et
sous le toit rustique des maisons de thé de la banlieue. Elles sont innombrables, ces
charmantes retraites dont les beautés de la nature forment le principal ornement. La
plupart se distinguent à peine des habitations campagnardes qui les avoisinent. Leur
vaste toit de chaume descend jusqu’au rez-de-chaussée. Des oiseaux domestiques
s’ébattent ou se prélassent au soleil, sur les tapis de mousse dont la toiture est parsemée
et qui s’élèvent par étages jusqu’au sommet, où brillent des touffes d’iris en fleur. A
défaut de galerie, des berceaux de vigne ou d’autres plantes sarmenteuses abritent les
buveurs nonchalamment groupés sur de spacieux reposoirs. Une source limpide
murmure à quelques pas et longe le sentier qui descend vers la plaine à travers les
jardins, les vergers, les cultures de pavots ou de fèves, les champs de céréales ou de
plantes textiles.
Le citadin ne dédaigne pas d’accoster le paysan au milieu de ses travaux et d’échanger
avec lui maintes observations judicieuses sur les procédés d’irrigation en usage dans la
contrée, sur la qualité des produits obtenus dans telle ou telle zone, enfin sur la mercuriale
des marchés de la ville. Souvent le bon bourgeois s’anime, et dans son enthousiasme
déclare qu’il n’est pas de plus belle vie que celle de l’homme des champs.
Celui-ci toutefois secoue la tête ou réplique par quelque plaisanterie de sa façon. Je
vis un jour un paysan, appuyé sur sa bêche, les deux pieds dans le marais, écouter en
souriant son interlocuteur, puis se pencher sans mot dire, passer une main sur ses
jambes et en retirer deux sangsues pour en faire hommage au citadin.
Il y a des sociétés bourgeoises qui accomplissent, trois fois par an, en février, en
juin et en octobre, un vrai pèlerinage champêtre dans des villages à trois ou quatre milles
de Yédo, uniquement pour constater de leurs propres yeux les vicissitudes des saisons et
les transformation qu’elles opèrent dans la nature.
En hiver, s’il tombe de la neige, on se fera un devoir aussi bien qu un plaisir
d’aller en famille contempler l’aspect étrange soit des statues du parvis de Kanda-Miôdzin,
soit de la haute pagode d’Asaksa ; mais surtout on ne négligera pas de se rendre à
■certaines maisons de thé des faubourgs, telles que celle de Niken-Tschaia, dans le
voisinage de Foukagawa, pour admirer dignement le spectacle de la baie et de la
campagne sous leiir nouvelle décoration. En été, il est convenu que c’est sur les
hauteurs de Dôkwan-yama qu’il faut ouïr le concert des cigales, et un bon père de
famille ne saurait manquer d’y conduire ses enfants, munis de petites cages d’osier,
pour emporter au logis quelqu’une des nocturnes chanteuses.
Les poëtes du printemps, les. chantres de l’été, les peintres, les. artistes à là recherche
de nouvelles inspirations, aiment à s’abandonner, du matin au soir, aux charmes de
l’étude et de la rêverie, parmi les vergers de cerisiers, de pruniers, de poiriers, de
pêchers, parmi les bosquets de bambous, de citronniers, d’orangers, de pins et de
cyprès qui entourent les temples, les jardins et les maisons de thé d’Okoubo, de Sou-
gamou, d’Itabasi, de Tô-Néghis, d’Haghitéra, de Mimégori et d’une multitude d’autres
r e f u g e s classiques des muses du Nippon. La nuit venue, réunis dans d’excellentes
hôtelleries, ils joignent aux plaisirs de la table les jouissances d’une société spirituelle,
où les joyeuses causeries alternent avec les chants et la musique, où les feuilles de
dessin se mêlent aux pages de poésie écrites dans la journée..
Il n’est pas rare que le pinceau n’intervienne dans la marche capricieuse de la
conversation, et tout à coup le sujet d’un récit ou d’une discussion se trouve illustré
ou travesti au gré de l’imagination du peintre et aux applaudissements de la société.