
2“ Tu ne déroberas point;
3° Tu ne commettras -.point fornication;
4° Tu ne mentiras point,
et 5° Tu t’abstiendras de toute boisson enivrante.
Que devient la pureté ascétique de la « Bonne Loi » entre les mains d’hommes plongés,
pour la plupart, dans la dernière dégradation? Quelle ironique destinée atteint les
préceptes du grand Sàkya-Mouni, au milieu de ce temple où l art glorifie la corruption
des moeurs, où l’encens fume devant une idole qui a des indulgences pour tous les
crimes, où l’industrie des moines s’ingénie à faire argent des vices comme des haines
sanguinaires de la noblesse, aussi bien qu’à exploiter la crédulité du peuple et son goût
pour la dissipation !
La bonzerie d’Asaksa se distingue par le luxe et la variété des costumes de ses prêtres
et de son immense personnel de service, non moins que par la pompe théâtrale de ses
cérémonies. La plus imposante est la procession générale de la dédicace annuelle qui
suit les fêtes de la purification du temple et de ses dépendances.
Les supérieurs du couvent ont la tête rasée et se conforment dans tous ses détails à la
règle du sacerdoce bouddhiste ; mais leur domination s’étend sur plusieurs confréries se
rattachant à l’ancien culte national, et chacune d’elles est vêtue et coiffée selon les ordonnances
du daïri qui les concernent. 11 n’y a pas moins de variété dans les costumes et les
livrées des maîtres des cérémonies, des hérauts d’armes, des cuisiniers, des palefreniers,
des portiers et des valets dépendant des diverses sectes de la bonzerie.
Les palefreniers de Quannon-sama sont préposés aux soins d’une couple de chevaux
albinos, que l’on appelle les chevaux de la déesse. Ces animaux sacrés se nourrissent de
pois bénits et jouissent du privilège de dormir debout, soutenus par une sorte de hamac
en fortes sangles. Chaque matin, dit-on, les prêtres les amènent devant la statue de
Quannon en lui demandant si elle ne désire pas faire quelque promenade.
Les hérauts d’armes font les honneurs d’un arsenal de casques et d armures antiques
qui figurent dans les fêtes et dans les processions. La bonzerie donne même des
spectacles, où les artistes qu’elle possède jouent devant le peuple leurs rôles de danseurs
ou de comédiens. Le théâtre se compose d’une estrade dressée derrière le second portail
et tendue d’çtoffes armoriées. C’est là que l’on peut voir, entre autres, au quinzième
jour du sixième mois, une pièce qui ne manque pas d’originalité, la danse des sabres,
grande pantomime militaire, exécutée exclusivement par des héros de, sacristie !
Mais le triomphe d’Asaksa-téra, c’est sa kermesse de fin d’année.
Bien qu’il y ait un champ de foire permanent, et que l’on rencontre journellement
dans l’enceinte de cette grande bonzerie une foule de promeneurs, de curieux et de
pèlerins des deux sexes, c’est du dix-huitième au dernier jour du douzième mois que la
sainte résidence de Quannon-sama déploie tout son prestige et devient comme le centre
de circulation, non plus de quelques milliers, ni de quelques centaines de milliers,
mais peut-être de trois ou quatre millions d’habitants de la ville, de la banlieue et des
ASAKSA-TÉBA. 261
A partir de la place qui est au midi du premier porche, jusqu’à l’extrémité septentrionale
de l’enceinte du grand temple, tout est envahi par l|i multitude, dont les flots
pressés forment deux courants réguliers, circulant en sens contraires sous l’habile et
silencieuse direction de la police. Un ordre si parfait, au milieu d’une pareille cohue
n’est possible que dans une ville comme Yédo, où non-seulement il n’y a pas de voitures
mais où H suffit d’un mot du magistrat pour exclure de tout un vaste rayon, et pendant
une quinzaine de jours, l’usage des chevaux et des palanquins.
Aussi ne voit-on d’encombrement nulle part. Des cordeaux de paille limitent l’espace
réservé à chaque industriel. Partout on trouve, à point nommé, des places de stationnement,
des reposoirs, des issues habilement ménagées pour rejoindre soit le torrent
qui vient du porche, soit celui de la sortie. Enfin il n ’y a pas d’heure de clôture. La
marée monte insensiblement tout le jo u r; elle atteint son point culminant après le coucher
du soleil, et elle descend rapidement depuis minuit jusqu’aux premières heures
de la matinée.