
Nous sommés loin de connaître les mystères politiques de la Venise de l'extrême
Orient, et il doit être difficile, même pour les Japonais, de s’en faire une juste idée. Ce
que personne n’ignore à Yédo, c’est que les prisons du Daïmiê-Kodzi ont leurs
chambres de torture, leurs oubliettes, leur sinistre réduit des exécutions secrètes.
Au Japon, la simple répression des délits communs est marquée, d’un bout à l'autre,
au coin de la férocité.
LE DÉPÔT DES ACCUSÉS.
Le limier de police tombe sur un prévenu comme le vautour sur sa proie.
Le bambou est l’accompagnement obligé des interrogatoires : on débute par dérouler
l’acte d’accusation sous les yeux du prisonnier, et pour peu que celui-ci ne réponde pas
au gré du juge instructeur, les coups pleuvent sur ses épaules. Malheur à lui. s’il est
I. ’' INTERROGATOIRE i ON MET DEVANT LES YEUX DD PRÉVENU SON ACTE D’ACCUSATION.
soupçonné de mentir ou de se renfermer dans un système de dénégation ! on le fait
agenouiller sur le tranchant de quartiers de bois dur, et, dans cette position, on entasse
sur ses jambes reployées, de grosses dalles de pierre, jusqu’à ce que son sang rougisse
le bois qui meurtrit ses genoux, et que des souffrances aiguës lui arrachent l’aveu, vrai
ou fictif, du crime dont il est accusé. .
Aux yeux d’un juge japonais, tout prévenu est censé coupable. Le tribunal veut des
victimes. Les agents de police sont ses pourvoyeurs. Le dépôt réunit vingt à trente
prisonniers par salle. Ils portent tous le même costume, un grossier kirimon de cotonnade
bleue, sans aucune autre pièce de vêtement. Comme il ne leur est permis ni de se raser,
ni de se coiffer, au bout de peu de jours le seul aspect de leur barbe et de leur chevelure
les classe dans la catégorie des êtres impurs, pour lesquels on ne saurait éprouver d’autre
sentiment que le mépris ou le dégoût. Ils dorment accroupis sur les dalles nues dont
la prison est pavée. Toutefois ceux qui peuvent en faire les frais, obtiennent du geôlier
une ou plusieurs nattes et même une couverture ouatée. Le riz est leur unique nourriture.
Le silence le plus absolu leur est imposé, et cette règle ne comporte qu’un seul cas
d’exception : lorsque l’un des prisonniers a été condamné à mort et que la gendarmerie
vient l’enlever à ses compagnons de captivité, ceux-ci ont le droit de pousser ensemble
et de toutes leurs forces un long cri de désespoir ; puis tout rentre dans un silence plus
horrible que jamais.
Les lois de Gonghensama n ’admettent que l’emprisonnement accompagné de peines