
contestables à certains égards, mais si bien trouvés pour donner la clef de la situation,
qu il est difficile de les remplacer ou d’y ajouter des correctifs. Ils ont appelé le Mikado
1 empereur spirituel, et Kioto, la ville sainte ou la Rome du Japon ; ils ont donné au
Siogoun le titre d’empereur temporel, et à sa résidence Yédo, le surnom de capitale politique
de l’empire. Maisj afin d’éviter toute dispute de mots, sur un sujet qui d’ailleurs
n’est plus que de l’histoire ancienne, je mets de côté les relations hollandaises, et dans
tous les détails du tableau que jë vais exposer, je me laisse guider par le pinceau des
Japonais eux-mêmes.
Le Mikado occupe incontestablement le rang suprême dans l’ordre hiérarchique
de l’Empire. .
Le Siogoun n’est, à proprement parler, que le premier général du Mikado, et son
lieutenant dans l’administration des affaires publiques.
x Si le Siogoun a su abuser de sa position pour accaparer souverainement tout le pouvoir
civil et militaire, le Mikado, de son côté, conserve l'avantage de la naissance, ainsi
que le prestige de son caractère sacré. Petit-fils du Soleil, il continue la tradition des
dieux, des demi-dieux, des héros, des souverains héréditaires, qui ont régné sur le Japon,
par voie de succession non interrompue, depuis la création de l’empire des huil
grandes îles.
Chef auguste de la religion, quelles que soient les formes qu’elle revête parmi le
peuple, il officie comme grand pontife de l’ancien culte national des Kamis. Au solstice
d été, il sacrifie à la terre ; au solstice d’hiver, il sacrifie au ciql. Un dieu est expressément
préposé à la garde de sa précieuse destinée : du sein du temple qu’on lui a construit
au sommet du mont Kamo, dans le voisinage de la résidence, il veille nuit et jour
sur le daïri.
A la mort des Mikados, leurs noms doivent être inscrits dans les temples de leurs
ancêtres: on les grave à, là fois, à Kioto dans, le temple d’Hatchiman, et à Isyé dans le
temple même du Soleil.
Empereur théocratique et souverain héréditaire, c’est donc du ciel directement que
le Mikado tient le.pouvoir qui lui est dévolu sur son peuple.
Mais il lui devient tou jours plus difficile de trouver l’occasion de l’exercer. Aussi, de
tempS à autre, lui semble-t-il bon et nécessaire de faire acte d’existence en décernant
des titres pompeux, purement honorifiques, à quelques vieux seigneurs féodaux qui peuvent
avoir bien mérité de l’autel. Parfois encore il s^accorde là satisfaction de protester hautement
contre les faits et gestes de son lieutenant temporel, lorsqu’ils lui paraissent de
nature à heurter ses prérogatives. C’est ainsi que, de nos jours, il a jeté son interdit suites
traités conclus entre, le Taïkoun et diverses nations de l’Occident. Par la suite cependant
il les a sanctionnés, quand les escadres alliées se sont présentées dévanl les
murs d’Osaka, ce qui témoignait de leur part qu’elles reconnaissaient sa suprématie.
Le Taïkoun n’a jamais été, aux yeux de la cour de Kioto, que l’heureux héritier de vulgaires
usurpateurs. Ses ancêtres, les Siogouns, sont précisément ces anciens serviteurs
du Mikado qui ont pris à tâche de dépouiller leur maître de son armée, de sa marine,
de ses terres et de ses trésors, comme s’ils eussent eu vocation de le débarrasser de tout
sujet de préoccupation terrestre. Peut-être aussi le Mikado s’est-il prêté par trop complaisamment
à toutes leurs manières d’agir. Parce qu’on lui offrait un chariot à deux
roues, attelé d’un boeuf, pour sa promenade journalière dans les parcs du castel, ce privilège,
considérable sans doute dans un pays où personne nex va en voiture, n’aurait
pas dû lui faire sacrifier les mâles exercices du tir à l’arc, de la chasse au faucon, des
brillantes cavalcades à la poursuite du cerf et du sanglier. Et puis était-ce agir sous
l’inspiration d’une saine politique, que de se rendre .dorénavant invisible à ses sujets? Pendant
quelque temps encore, on le met en. part dans lès grandes fêtes du daïri, en l’exhibant
sur une estrade, dans une attitude parfaitement immobile, pour l’offrir à la muette
adoration de, la ëour prosternée. Mais bientôt le Mikado ne communique plus avec le
25
LE M.IKADO, LORSQU' IL ÉTAIT ENCORE VISIBLE.