
même s’expose à une infériorité inévitable, au point de vue politique et commercial, si, pour
maintenir son rôle de puissance catholique, elle est obligée de subordonner ses intérêts
nationaux aux intérêts temporels d’une cour cléricale ; si e'est un devoir sacré pour
elle de remettre toute l’éducation dés jeunes générations entre les mains de l’Église Ou
des'confréries-qui' s’ÿ rattachent ; si, en un mot, elle ne peut rester catholique tju’à la
condition desuivrè jusqu’au bout le catholicisme du Syllabus.
Le temps presse, et les peuples de race latine s’attardent, enlacés dans des traditions
ecclêsiastiquès, tandis que, affranchis de Ces dernières, les peuples de race
anglo-germanique devancent et supplantent leurs frères dé race latine en reprenant et
développant pour leur propre compte la vraie glorieuse tradition latine, celle des Galilée;
des Vasco de Gama el des Christophe Colomb.
Le principe de la sécularisation des sociétés politiques s’impose avec une nécessité
si impérieuse, dans: les conditions de .notre civilisation démocratique et individualiste,
qu’aucun peuple ne me semble pouvoir en éviter les conséquences, pas même le dernier
venu et le plus étranger, à notre histoire.
Un grand événement a empêché le peuple japonais, et tout particulièrement la bourgeoisie
de Yédo, de tomber dans Tétât de;stagùation ou étaient plongées les populations du
Céleste Empire avant l’arrivée des Européens : l’usurpation du pouvoir temporel, consommée.
par Iyéyas au détriment du Mikado, a brisé l’uniformité et détruit le prestige du
despotisme théocratique. Depuis cette émancipation relative, les esprits ont reçu une
impulsion dont les conséquences n’apparaîtront clairement qu’à Tissue des troubles actuels.
IcLse pose dès à présent une question de la plus haute gravité : les; Japonais, en leur
qualité d’habiles artisans, ne seront-ils que les ouvriers et, tout au plus, les contre-maîtres
de leurs hôtes de l’Occident? Abandonneront-ils indéfiniment à ces derniers l’exploitation
des lignes de navigation à vapeur qui rayonneront autour du Japon, des chemins de fer
qui le traverseront, etdes mines que Ton y ouvrira? Laisseront-ils les étrangers accaparer
toutes les industries qui peuvent se.prêter à l’application de là vapeur et des procédés mécaniques
: la fabrication du camphre et de la ciré végétale, la; préparation du thé et de
l’huile depoisson,- la filature et le tissage des soies et du coton ? .
. : Si l’avenir du Japon est dans l’industrie, tout l’avenir de l’industrie estdans'la liberté.
Entre le Japon d’aujourd’hui et la liberté, quel abîme n’y a-t-il pas à franchir !
On peut copier des objets d’art, contrefaire des produits industriels ; mais la liberté ne
s’imite pas et, pour la posséder, il faut être à sa hauteur. Certaines connaissances acquises
ne sauraient'y.sufûre : il est besoin d’une éducation complète, d’une transformation intérieure,
d’une vie nouvelle de l’esprit et du coeur.
Les Japonais ont la noble ambition de .devenir les émules des nations qui dominent
actuellement .les mers et les affaires du monde entier. Ils peuvent y réussir sans doute, à
la seule condition d’apporter des forces égales dans l’association ; mais comprendront-ils
que oes forces indispensables ne se puisent qu’à la source qui alimente journellement la
civilisation chrétienne ? .
: Certains indices sembleraient Tindiquér. g
’ Le vieux prince d’Etsizen, qui a rempli l’office de tuteur du Taikoun.après le meurtre
du Régent, écrivait en, 1864. Pourquoi le Japon se-.refuserait-il à s’assimiler aux nations
étrangères, même en ce qui concerne la religion ? S’il juge à propos de le faire, c’est qu’il
aura reconnu son infériorité à l’égard de ces autres nations.*.» . .
Cette oeuvre d’assimilation présente, à la vérité, des difficultés tout exceptionnelles '.
S’agit-il, par exemple, de la traduction d’une portion des Évangiles en langue japonaise,
.quels caractères faudra-t-il employer? Si Ton écrit en hirakana, cela produira le
même effet à peu près que de publier en France une édition de la Bible en patois ; et si
l’on fait usage du katakana, Ton ne sera pas compris de !amasse*du peuple.
Depuis que le gouvernement japonais a ouvert, dans les ports principaux, des écoles
de langues étrangères, où les élèves indigènes se servent des mêmes manuels que Ton
étudie dans les écoles de l’Amérique, il me semble que le moment ne doit plus être fort
éloigné, pour les missionnaires qui, généralement, dirigent ces institutions, de tenter une
réforme sans laquelle, quoi qu’on fasse, jamais les peuples de la Chine et du Japon ne sortiront
de leur infériorité à notre égard : c’est la réforme de leur système d’écriture.
On peut prévoir que, dans la suite, des siècles, le monde arrivera, non pas à.l’unité de
langue, mais à l’unification de l’écriture,.aussi bien qu’à l’unification internationale des
monnaies, des poids et des mesures.
Les éminents travaux de Lepsius n ’ont pas encore résolu tous les problèmes que souè
lève la question de l’alphabet universel.
'Ne pourrait-on pas, sans rien préjuger, convenir d’un alphabet sino-japonais, ou
même simplement japonais, en lettres romaines, bien entendu, comme on s’habitue déjà
en Allemagne à substituer ce genre de lettres aux anciens caractères gothiques
nationaux ?
A ce compte, la langue japonaise, qu’il est très-facile d’apprendre à parler, ne nous
coûterait.guère plus de peine que l’italien; tandis que c’est aujourd’hui .un travail .sans
terme, que de Tétudier au point de la lire et de l’écrire.
11 est temps d’affranchir les populations de l’extrême Orient d’un état de choses où la
vie entière des lettrés se consume à apprendre des formes, des signes conventionnels. Il
est temps de leur ouvrir la voie de relations internationales faciles et agréables, semblables
à celles que. nourrissent entre eux les peuples .de l'Occident. 11 est temps enfin de leur
fournir le moyen d’arriver à se faire une psychologie, une logique, une algèbre, une philosophie
de l'histoire, une littérature vraiment populaire, accessible à tout le monde, et une
religion qui soit le culte en esprit et en vérité.
Au Japon, en particulier, le changement de régime gouvernemental est au nombre de
ces circonstances imprévues dont, en bonne politique, il faut savoir profiter. ...
Notre civilisation reçoit aujourd’hui les hommages du Mikado. L’Empereur théocratique
qui protestait contre les traités conclus p a rle Taikoun,-.se charge maintenant
de les faire respecter. :Le petit-fils du Soleil, qui avait prononcé l’expulsion générale
1 Voir l’appendice du bel ouvrage de l’orientaliste K.-F. Neumann, sur l’histoire contemporaine de l'extrême
Orient, Ostasiatische Geschichle.