
préparatifs d’emballage sont suspendus, et nous parlons déjà de nous réinstaller à Benten.
Mais voici qu’au déjeuner, on nous ;remet une circulaire d u ministre des affaires
étrangères, Ongasawara Dsouzio no Kami : il nous annonce tout bonnement que le
Mikado ayant ordonné au Taïkoun d’expulser , tous lés étrangers, lè Taïkoun a donné des
pleins pouvoirs. au signataire, qui vient, en conséquence, négocier l’affaire avec les
représentants de l’Occident, le jour même, à 9 heures du matin. C’est donc de plus en
plus fort, et l’on se prend à rire comme dans un rêve.
La conférence s’ouvre en effet àla.Légation de France, et les agents politiques des puissances
contractantes, après :avoir entendu Ongasawara, conviennent de lui répondre collectivement,
et chacun en particulier, par une protestation énergique, mais toutefois de
consentir, comme il le demandait, à prendre les ordres dç leurs.gouyernements, moyennant
que durant le laps de temps nécessaire pour échanger les correspondances, il y ait
règlement complet du conflit britannique, et, en outre, quele commerce suive son cours sans
le moindre empêchement,dans tous les ports ouverts aux étrangers; que la garde du seulement
soit remise aux amiraux, qui prendront librement toutes les mesures de sûreté à
leur convenancè ; que le gouvernement taïkounal retire les troupes qu’il a dans le rayon
de Yokohama, , et que les patrouilles européennes puissent faire des promenades militaires
au delà des limites territoriales assignées par les traités aux excursions des étrangers.
Tous ces points: furent agréés: sans difficulté. Les deux amiraux reçurent du Gorogio
une lettre qui leur reconnaissait les pouvoirs stipulés dans la conférence du 24 juin. Les
mesures de protection du quartier franc s’exécutèrent sans la moindre résistance, sans
perturbation quelconque, et même avec le concours empressé des gouverneurs de
Kanagawa.
M. Layrle, chef d’état-major de l’amiral Jaurès, fut chargé de la défense en ce qui
concernait la France ; le . capitaine de .vaisseau Dew, de la corvette YEncounter, eut le
commandement du contingent anglais.
« Au sud de Yokohama, écrit M. Alfred Roussin, les collines se rapprochent complètement
du quartier étranger, dont elles ne sont séparées que par la. largeur du canal.
L’une d’elles, s’élevant au bord de la mer, et faisant vis-à-vis à la colline des gouverneurs,
fut mise par ces derniers à la disposition de la marine française. Il y fut établi un
détachement de fusiliers marins. Le poste, construit par le soin des autorités japonaises,
fut entouré d’une palissade, et un mât de pavillon fut dressé à côté. De ce point, dominant
la rade, la ville et la vallée en arrière, on pouvait exercer une surveillance active et donner
l’alarme. En cas d’attaque nocturne, le seul genre d’attaque qui parût probable, les
troupes à terre devaient, à des signaux déterminés, se masser sur certains points, et les
navires envoyer. en toute hâte des embarcations et des renforts. De la sorte on pourrait
repousser les assaillants, ou bien, la défense de la ville devenant impossible, donner à
ses habitants le temps de sè réfugier à bord des bâtiments de guerre. »
Je fus témoin de la prise de possession de cette colline du Bluff par les officiers de là
marine française assistés de quelques compagnies du 3e bataillon d infanterie légère
d’Afrique, et d’une troupe de coulies japonais que les gouverneurs de Kanagawa avaient
mis de réquisition. Les soldats abattaient des arbres, faisaient des gabions, nivelaient le
sol au sommet de la colline, en chantant pour s’animer au travail « l’Etoile du bazar », l’une
des chansons favorites du répertoire des « Zéphyrs » . Les coulies, autour d’eux, maniaient
sous leurs ordres la pioche et la pelle, donnaient en souriant des signes d’approbation
aux chanteurs, et, cédant à l’entraînement général, répétaient avec le choeur : L’étola di
bazâ ! L’étola di bazâ !
C’est ainsi que l’ouverture de Yokohama devint effective et définitive au moyen d’une
véritable occupation militaire. C’est ainsi que le commerce occidental se concentra au Japon,
sur une lagune de pêcheurs, que l’on s’empressa de combler et de couvrir de riches
habitations et de grands entrepôts de marchandises. C’est ainsi enfin que les vrais ports
japonais, ceux des principales cités commerçantes, Yédo, Osaka, Hiogo, Niagata, nous
MOUSHÉS DORMANT.
demeurèrent fermés jusqu’en 1868, tandis que les négociants, les consuls, les ministres
des puissances contractantes de l’Occident se trouvèrent confinés sur un seul point du
Japon, isolés de la masse du peuple, séparés de sa bourgeoisie, de ses classes opulentes,
réduits à vivre entre eux, pêle-mêle avec toutes sortes d’aventuriers des côtes du Pacifique,
et avec une société d’indigènes des deux sexes, qui, sauf de notables exceptions, ne formaient
pas en général la partie la plus saine et la plus respectable de la population.
A l’époque où je me trouvais à Yokohama, le commerce occidental était représenté
sur cette place par 80 Anglais, 70 Américains, 30 Hollandais, 30 Français, 16 Allemands,
8 Portugais et 8 Suisses. Le doyen du settlement était notre jeune ami Schnell,
qui n’avait pas seize ans quand il vint au Japon.
\ Ces 242 résidents formaient le noyau de la colonie; mais celle-ci accusait fréquemment
une population de 3 à 4,000 âmes, se composant de gens en passage, de chercheurs
d’aventures et surtout d’équipages de vaisseaux de guerre ou de bâtiments de commerce,