
Le goût du fantastique s’allie volontiers à- celui de la caricature. Au Japon, les
institutions politiques, la religion, la nature, tout concourt à surexciter l’imagination et
à l’égarer dans la région des chimères. Sur les côtes de la mer, les roches basaltiques
revêtent des formes tantôt grotesques, tantôt effrayantes. L’Océan lui-même est un monde
de mystères.. Quelquefois on découvre sous ses ondes, quand il fait bien obscur, une
lumière qui ressemble à un dragon. Des marins ont aperçu parmi les vagues, des
coquillages qui lançaient des éclairs. Il y a sous les eaux du détroit de Simonoséki, une
grotte ou plutôt un temple, incrusté de perles et de nacre. On le nomme le Riogoun. Il
est situé à l’endroit même où le jeune Mikado Antok fut submergé avec sa suite en
s’enfuyant du champ de bataillé où ses partisans, les Fékis, avaient été défaits par
Yoritomo (1185). C’est dans ce temple qu’il règne et tient sa cour. Ses hérauts d’armes
portent, en guise de bannières, de longs roseaux surmontés d’ailerons de requins. Toutes
les divinités de la mer viennent lui rendre hommage, ornées de diadèmes représentant
des têtes de phoques et de poissons, des méduses, des crabes, des gueules de dragons.
Cette cour de monstres marins et d’hommes de guerre noyés a inspiré des compositions
artistiques de l’effet le plus étrange et le plus original. Elles ne sont égalées que par les
scènes infernales, où l’on voit les victimes sanglantes et mutilées de je ne sais quels
grands criminels s’acharner au supplice de ces derniers, avec l’aide d’épouvantables
démons. Le crayon de Callot n’a rien produit d’aussi complètement affreux.
Les Japonais se complaisent dans l’imitation des réalités hideuses. Le musée céramique
d’Asaksa-téra possède des figures de suppliciés et de cadavres en décomposition,
qui forment une collection bien supérieure au célèbre m Cabinet ofhorrors » de madame
Tussaud, à Londres.
A plus forte raison, leur fantastique horrible l’emportera-t-il sur tout ce que l’imagination
occidentale est capable d’inventer en ce genre.
Ils savent aussi, comme Callot, allier le burlesque à l’horrible, mais c’est alors dans
des sujets qui n ’ont rien de tragique ou qui ne peuvent être pris au sérieux. Telles
sont les charges qu’ils se permettent en transformant les ustensiles des cérémonies
religieuses, gongs, goupillons, candélabres, vases à parfums, autels, images et statuettes,
en autant de monstres animés, ailés, sautant ou rampant dans une ronde conduite par
des esprits infernaux.
La recherche du fantastique n’est pas étrangère au charme que l’on trouve dans les
maisons de thé de la banlieue de Yédo. Quelques-unes sont exposées aux endroits -les
plus propices pour contempler le Fousi-vama.. N’y eût-il que la vue de cette montagne
extraordinaire, telle qu’elle apparaît au lever et au coucher du soleil, sous un ciel pur ou
au sein de l’orage, que l’imagination la plus rêveuse aurait le droit d’être satisfaite. Mais
d’autres maisons ajoutent au charme du paysage l’attrait mystérieux de cascades éeu-
mantes, de sources minérales, de bassins d’eaux thermales* comme certains établissements
de bains des montagnes de la S u is s e . C e n’est pas que l’on y aille faire des cures
proprement dites ; mais on passe volontiers quelques jours en famille dans ces élégants
chalets de cèdre, élevés sur les bords de cours d’eau comparables aux.plus belles rivières
alpestres et abrités d’ombrages magnifiques. Les plus fréquentés sont ceux de l’Ottona-
Sigawa, l’un des principaux hffluents du grand fleuve.