
impression salutaire sur la foule. Le condamné est placé à cheval, lié sur une haute
selle de bois, étTon ne manque pas de suspendre à son cou un rosaire. En tête du cortège,
les huissiers de la justice attirent l’attention du peuple sur un large écriteau que portent
leurs coulies et qui retrace en termes emphatiques le lugubre drame dont le dernier
acte va s’accomplir.
Dans tous les États despotiques, c’est principalement sur la bourgeoisie que s’appesantit
le joug du pouvoir.
Au Japon, la bourgeoisie ne s’est formée et n’existe en réalité que dans les villes tai—
kounales, qui sont : Kioto, Yédo, Hiogo, Osaka, Sakai, Nagasaki et Hakodate, auxquelles
on doit sans doute ajouter les nouveaux ports de Ybkohama et de Niagata.
Cette classe toute récente de la société japonaise porte en son sein le germe du grand
avenir auquel le Japon contemporain semble être appelé.
Néanmoins elle n’exerce aucun droit civique, et le dernier des hattamotos dédaignerait
de s’allier à la meilleure famille de la Cité.
La noblesse territoriale et la caste gouvernementale affectent, à l’envi l’une de l’autre,
de placer indifféremment l’artisan, le boutiquier, le gros négociant même, au-dessous
de l’agriculteur, au dernier degré de l’échelle sociale, à l’extrême limite au delà de
laquelle il n’y a plus que les Yétas, les gens à métiers impurs : bouchers, corroyeurs et
mendiants.
Un daïmio et sa suite, ou quelque fonctionnaire du Taïkoun, viennent-ils à passer en
cérémonie, c’est au bourgeois de faire attention aux avertisseinénts des hérauts d’armes
et des coureurs, et de se ranger à temps sur le bord du chemin, la tête découverte, le corps
immobile et accroupi, s’il né veut s’exposer à récevôir un coup de sabre ou à être foulé
sous les pieds des chevaux. Il est juste d’ajouter que le plus souvent les; séigneurs et les
gens du Castel parcourent les rues de la Cité dans une sorte d’incognito, sans se faire
rendre les honneurs: dus à leur haute position. Lorsqu’ils trouvent à propos de les exiger,
ils prennent soin de signaler de très-loin leur approche, non-seulement par leur avant-
garde obligée, mais au moyen d’insignés, bien connus du peuple, arborés au sommet de
très-longues piques que l’on porte: en tête du cortège.
Dans les rapports d’affaires qui amènent le marchand, l’akindo, en présence du
samouraï, le premier doit saluer son supérieur en se prosternant à plusieurs reprises.
Quand il franchit le seuil d’une .demeure noble, il s’agenouille, et, le front courbé sur le
sol, il attend dans cette posture qu’un mot du maître de la maison lui permette de se lever ;
encore ne lui parlera-t-il jamais que la tête inclinée, le corps ployé en avant et les deux
mains pendantes sur les genoux.
Le lendemain d’un incendie qui avait ravagé tout un quartier du Castel, un officier
de Yédo vint requérir des charpentiers japonais employés aux constructions européennes
de Yokohama. Un chef de chantier lui faisant des observations sur les conséquences
fâcheuses que pouvait avoir le départ subit et non autorisé de tant d’hommes engagés à
terme fixe, par des marchés en due forme, l’officier, impatienté, abattit à ses pieds, d’un
coup de sabre, le malencontreux raisonneur.
Un même génie, fatal au progrès, étranger à la vraie civilisation, hostile à l’humanité;
plane sur les fières résidences de la noblesse et du gouvernement.
Les Taïkouns n’ont jamais su comprendre que la seule base réelle de leur puissance
et la source certaine de la prospérité de leur Empire, c’était précisément ce,tte classe bourgeoise
qu’ils se sont plu à enserrer dans un réseau de fer. Mais il est bien superflu
d’insister ou de récriminer sur ce sujet. Comme le bourgeois lui-même possède l’art d’échapper
de temps en temps aux mailles du réseau et d’oublier, quand il lui plaît, le
monde officiel qui le domine, il faut savoir, à son exemple, faire abstraction de tout
ce côté sombre de sa vie journalière; il faut s’asseoir à ses repas de famille, le suivre
dans ses excursions champêtres, ou au sein des réjouissances nocturnes de la capitale ;
en un mot, se plonger librement dans la vie intime populaire, sur les pas de ce guide
expérimenté, et avec le cortège de ses nombreux amis : les lettrés et les poètes, les médecins
et les étudiants, et les peintres, et les comédiens.
MARCHAND DE COMPLAINTES D’ASSASSIN ATS.