
aplomb, une grâce, un sérieux comique imperturbables, alliés à l’adresse, à la verve, à
l’entrain le plus soutenus, et l’on comprendra que cette catégorie toute spéciale de jongleurs
occupe une place distincte et des plus honorables parmi les nombreuses confréries
des gens de leur métier.
Ce qu’ils ont de particulièrement remarquable dans l’agencement de leurs exercices,
c’est l’habileté avec laquelle ils passent des simples tours d’adresse aux artifices de la jonglerie,
et réciproquement, sans que le. spectateur, se doute du changement, ni s’aperçoive
de la transition. L’un d’eux, par exemple, s’accroupit devant un haut chandelier de fer, et,
agitant d’une main son éventail, il saisit de l’autre la bougie allumée, la lance en l’air, la
reçoit, et, sans jamais l’éteindre, la fait sauter comme une balle, en observant la mesure
d’une chanson de circonstance, accompagnée par l’orchestre; puis, remettant la bougie en
place, il la souffle et en fait jaillir, comme par le jeu de son éventail, un jet d’eau qu’il
reçoit dans un bol de porcelaine.
Son camarade, à genoux devant un tabouret recouvert d’un tapis et éclairé, sur
les côtés, par deux grosses lanternes de papier, y exhibe deux jolies marionnettes,
auxquelles il fait jouer une petite comédie, entremêlée de couplets et de danses; et
c’est une comédie à quatre personnages : les changements de rôles se font à vue,
sans que le jongleur bouge un instant de sa place. La pièce finie, il passe ses marionnettes
à un autre, qui les range soigneusement dans leur caisse, et lui-même
exécute une scène de travestissement, au bout de laquelle, étendant et agitant les
larges manches de sa jaquette comme les ailes d’un oiseau, il saute tout à coup sur
l’une des grosses lanternes de papier et s’y tient immobile sur la pointe des pieds.
Le compère, de son côté, rouvre la caisse des marionnettes et en tire un déjeuner complet.
Saisissant la théière, il offre à boire aux spectateurs en leur présentant sur un plateau
une tasse qu’il remplit à pleins bords; mais on ne trouve plus rien dedans
lorsqu’on veut y porter la main. Le jongleur étonné y touche du bout des lèvres, mais se
détourne avec dégoût pour rejeter tout un essaim de mouches. Les oeufs qui accompagnent
le thé n’ont rien d’extraordinaire, si ce n ’est que le jongleur peut les faire tenir
debout sur son front, et même les surmonter d’une soucoupe qui y reste en équilibre.
L’entr’acte est animé d’intermèdes comiques, dont l’un des plus amusants représente
le repos des jongleurs. Accroupis silencieusement au pied d’une tenture blanche, ils y
dessinent, en exhalant la fumée de leurs pipes, des caractères chinois parfaitement lisibles.
Les tours variés qu’ils exécutent avec les éventails, vont de plus en plus fort, jusqu’à
ce qu’ils se confondent avec des artifices d’optique et de fantasmagorie. Ainsi, pour terminer
la série des premiers exercices, le jongleur fait passer sous les yeux du public
un grand éventail ouvert, qui se tient debout sur le dessus de sa main droite, puis il
le lance en l’air, le reçoit de la main gauche par la pointe, s’accroupit, s’évente, et,
tournant la tête de profil, pousse un long soupir qui fait sortir de sa bouche l’image
d’un cheval au galop. Il continue à se donner de l’air et secoue du fond de sa manche
droite toute une armée de petits bonshommes qui s’évanouissent en dansant et en faisant