
J ’ai assisté plus d’une fois à des'assauts d’armes de yakounines. Les champions se
saluent avant de s’attaquer. Souvent celui qui est en garde met un genou en terre pour
mieux croiser le fer et parer plus solidement les coups de son adversaire. Chaque passe
est accompagnée de poses théâtrales et de gestes expressifs ; chaque coup provoque, de
part et d’autre, des exclamations passionnées ; puis les juges interviennent et prononcent
emphatiquement leur verdict ; enfin une tasse de thé assaisonne l’entr’acte, et la. joute
recommence de plus belle.
Il y a même une escrime à l’usage des dames japonaises. Leur arme est une lance
au fer recourbé, que Ton peut comparer avec celle des faucheurs polonais. Elles la
portent la pointe penchée vers le sol, et la manient réglementairement dans une série
d’attitudes, de pôses et de mouvements cadencés, qui fourniraient de charmants motifs
de ballets. Il ne me fut pas permis de jouir longtemps de ce gracieux spectacle, que
j ’aperçus en passant devant une cour entr’ouverte. Mes yakounines en fermèrent la
porte, en m’assurant que les usages du pays n ’admettaient pas de témoins aux passes
d’armes féminines.
On dit que les amazones japonaises se servent aussi avec beaucoup d’adresse d’une
sorte de serpette retenue à leur poignet par un long cordon de soie. Cette arme est destinée
à être lancée à la tête de l’ennemi, puis immédiatement retirée à l’aide de ce cordon.
Les hommes lancent de même l’éventail et le couteau, mais sans les attacher, et tout
à fait selon le procédé que l’on emploie en Italie pour jeter le stylet.
Yashitzoné, l’un des héros de l’ancien empire des Mikados, était de taille exiguë et ne
portait ni bouclier, ni casque, ni hallebarde ; cependant il défiait les plus redoutables
chevaliers, et ne manquait jamais de les battre en combat singulier. Grâce à l’habileté avec
laquelle il jouait de son éventail de guerre pour'éblouir son antagoniste, distraire son
attention, ou même lui porter un coup entre les deux yeux, il était assuré de le mettre en
défaut et de le tenir bientôt à la merci de son sabre. Les dessinateurs japonais le représentent
debout au sommet d’un pilier, où il s’est élancé pour esquiver un coup de hallebarde
de je ne sais quel formidable assaillant tout bardé de fer ; là, il se tient en équilibre
sur un pied, et agitant de la main gauche son éventail, il balance son sabre de la main
droite, l’oeil fixé sur la tête gigantesque qu’il va faire tomber d’un seul coup.
C’est dans leurs armes que les nobles japonais font voir le plus de luxe et mettent le plus
d’orgueil. Leurs sabres surtout, dont la trempe est sans rivale, sont généralement enrichis,
à la poignée et sur le fourreau, d’ornements en métal gravés et ciselés avec une grande
finesse. Mais ce qui fait principalement la valeur de ces armes, c’est leur ancienneté et leur
célébrité. Chaque sabre, dans les vieilles familles de daïmios, a sa tradition, son histoire,
dont l’éclat se mesure au sang qu’il a versé. Un sabre neuf ne doit pas rester vierge entre
les mains de celui qui l’achète. En attendant que l’occasion se présente de le plonger dans
lé sang humain, le samouraï qui en est devenu possesseur l’essaye sur des animaux vivants
et, mieux encore, sur des cadavres de suppliciés. Quand le bourreau lui en a livré,
moyennant autorisation supérieure, il les attache ,pn croix ou sur des chevalets dans une
cour de son habitation, "et il s’exerce à trancher, taillader et pourfendre, jusqu’à ce qu’il